Denis DAILLEUX
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Quand nous nous sommes retrouvés, tu avais quatre vingts ans. C’est à l’occasion d’un déjeuner chez mes parents que j’avais demandé si tu étais toujours de ce monde. La vie nous avait séparés et tu étais tellement marginalisée par la pauvreté que si tu étais morte je pensais que personne ne m’aurait informé de ta disparition. Je me souviens très bien de nos retrouvailles. Quand je suis arrivé dans la petite cour de ta ferme, tu étais campée devant ta porte, les mains posées sur les hanches prête à défendre ton territoire. Je t’ai demandée en te vouvoyant si tu me reconnaissais, tu m’as répondu, non, et quand je t’ai dis qui j’étais, tu as répondu : – Je croyais que j’allais jamais te revoir. Lorsque je suis revenu te voir pour te proposer de poser pour une série de portraits de vieilles dames que je réalisais dans mon village, tu as refusé d’une manière catégorique. Tu ne voulais en aucun cas te déplacer, quitter ton temple. Les dés étaient jetés, ta modeste maison et ton jardin seraient notre théâtre. Je t’ai d’abord photographiée en vieille paysanne avec ton panier de haricots sous le bras. C’était le souvenir que j’avais gardé de toi lorsque, enfant, avec mes parents je te rendais visite le dimanche soir. Tu me donnais la main et nous partions ramasser les noix sous les grands arbres dans le fond de ton jardin. Le jour de notre dernière séance de photo tu avais quatre vingt quinze ans, la grâce était sur nous, j’ai juste relevé le col de ton sarrau et tu es devenue aussi belle qu’une vieille aristocrate, tu irradiais. C’est la lumière dans tes beaux cheveux blancs qui m’a inspiré cette ultime image. La dernière fois que je t’ai vue, tu dormais. Je n’ai pas osé te réveiller, J’ai seulement déposé les roses que j’avais cueillies pour toi dans un vase . Avant de refermer la porte, je t’ai embrassée sur le front, tu avais cent ans. J’ai toujours su que, malgré l’ absence d’étoiles dans ton ciel, tu n’aurais pas voulu mourir. Tu me manques.