PÊCHE À GUET N'DAR

Sophie BACHELIER

© Sophie Bachelier/ADAGP, Sénégal 2012


This post is also available in: French

Juin 2012

Cela a commencé par les sons, ceux des petits balais qui grattent le sol. Pffft… Pffft… De frêles silhouettes s’agitent en une chorégraphie toute en douceur. Ce sont les jeunes femmes qui nettoient la rue. Puis viennent les charrettes à chevaux avec leurs grelots, les piétons, les pêcheurs en cirés… L’éveil de Guet Ndar est fascinant. Six heures du matin, un café Touba dans le ventre, j’attends le chef de pirogue qui va m’amener en mer. Je suis en avance. Ce matin, la maison du pêcheur est privée d’électricité, alors on me demande d’attendre un peu. Je m’adosse au mur de la maison. Devant moi, le dispensaire ; un peu plus loin l’école Cheikh Touré. La rue est encore endormie. Il fait sombre.

Sur la plage, des marins viennent nous prêter main forte pour glisser la lourde pirogue dans l’eau. Des gamins aussi. La barre est franchie avec tant d’aisance par le capitaine aguerri que nous sommes déjà au large. Je ne me suis aperçue de rien.

Le temps est gris, le vent souffle. L’hivernage approche. Le poisson va se faire de plus en plus rare me confient les hommes. Notre pirogue part récupérer la pêche des cinq filets posés hier à 4 km environ des côtes. Ismaël et Moulay Mbaye vont les remonter, ils les repèrent grâce aux balises. Le moteur est arrêté. Les filets sont plein de méduses hautement urticaires coincées dans les mailles. Ismaël me voyant m’approcher pour photographier me crie : – Mets tes verres, mets tes verres… Trop tard, une projection vient de m’arriver dans l’œil et en effet ça brûle fort. Les marins ont de graves problèmes d’yeux à cause des méduses. Mais c’est impossible de pêcher avec des lunettes, ils n’y verraient plus rien au bout de trois minutes avec cette purée de méduse qui se colle partout.

J’ai mis mes “verres” et je n’y vois déjà presque plus rien. Les projections envahissent l’objectif, tout se trouble.

J’ai rencontré en ville un homme qui me raconte le travail sur le bateau usine. Des campagnes de pêche qui durent trois mois ou plus. Des accidents fréquents tant les hommes s’épuisent dix heures par jour sur leurs pirogues qu’ils remontent chaque soir sur le cargo usine. Le travail en mer est devenu infernal. La pêche artisanale ne fonctionne plus. Le poisson est englouti par ces usines flottantes. Les sardines jadis accessible non loin des côtes sont aujourd’hui devenues rares. Trop de licences illicites vendues à ces cargos battant pavillons étranger par des fonctionnaires de l’état peu soucieux du devenir de leurs pêcheurs. Trois états membres de l’Union Européenne au moins se trouvent impliqués par ces autorisations de pêches illicites octroyées depuis 2010. L’homme, qui préfère ne pas être nommé, me dit aussi, qu’il arrive que les pêcheurs ne touchent même pas leurs soldes à l’issu de ces campagnes.

Je repense à la question d’Arona : – Es tu sûre de ne pas être malade en mer, les pêcheurs n’aiment pas ça !
– Oui, j’en suis sûre ! Jamais je n’ai vomi en mer.

Mais voilà, je sens mon cœur chavirer. Ça bouge, la vue des poissons morts, l’odeur, le ventre vide…

L’air malicieux, Ismaël me taquine : – Arona va m’entendre, je vais lui dire que tu as vomi !

À mon retour, au téléphone, quand j’annoncerai à Arona que je suis bien rentrée de mon équipée, il me demandera : – Tu n’as pas été malade ?

– Heu, si !

– Noooon ! Je vais être la risée de tout le quartier !!!

 

Sophie Bachelier


 

Country : Sénégal
Region : Saint-Louis
Place : Saint-Louis du Sénégal

Number of photos : 20