Les dessous du monde.

Antoine DURAND


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Par le biais d’une collection de photographies cartepostalisées, ce projet tisse un autre récit que celui proposé par la plupart des cartes postales traditionnelles. Il a été conçu comme réaction à la propagande généralement véhiculée par les images des cartes postales traditionnelles, c’est-à-dire, des cartes postales touristiques de représentation du territoire. Plutôt qu’une contre-propagande, cette collection propose à son tour une sorte de métapropagande [de meta : après, changement] ou de parapropagande [dans l’acception de “près de”, contre] qui élargit le spectre des possibilités de représentation du territoire. L’idée est de révéler la représentation homogénéisée du réel et de montrer que le réel n’est pas lisse et qu’en fin de compte, le monde n’est vraiment pas “une carte postale”. L’intention est celle de dévoiler des éléments voilés, presque inconscients, et ce faisant, contribuer à minimiser la violence symbolique exercée par les rapports de communication médiatiques habituels, qui visent à instaurer la vision d’un monde “idéalisé”, un monde sans frictions. Cette intention part des présupposés que l’image possède une puissance d’évocation indéniable, qu’elle peut créer un effet de réel et qu’elle peut faire croire en ce qu’elle fait voir. De plus, la reproductibilité (c’est-à-dire, la répétition continuelle d’une image) conditionne son pouvoir médiatique, autrement dit, sa réussite, sa portée, son impact propagandaire. Ainsi, dans cette collection d’images que je vous présente, apparemment banales, c’est la manière de montrer le réel qui marque la différence par rapport aux cartes postales traditionnelles. Mais les images de cette collection ne diffèrent pas des représentations des cartes postales traditionnelles par ce qu’elles donnent à voir mais plutôt par la façon de donner à voir. C’est en cela que l’œuvre acquiert sa cohérence formelle. La carte postale, outil de communication de masse et support de propagande est un «objet-image» à portée de main, un objet culturel socialisé ou populaire, à valeur de témoignage. Son usage est déterminé par la fonctionnalité de son support manipulable, transportable et offrant la possibilité de délivrer un message. Elle permet à la fois la création individuelle, c’est-à-dire, l’inscription de la trace personnelle (au moyen de l’écriture), l’usage collectif et la distribution massive … La carte postale est un objet qui permet l’interactivité. D’autre part, l’écart entre son expédition et sa réception instaure un temps différé, une pratique qui s’inscrit dans un temps qui n’est pas celui de l’immédiateté ou celui de l’urgence. Collection L’enregistrement photographique relève de la thésaurisation dont une des formes abouties est la constitution d’une collection. La collection est composée d’éléments agencés en une structure particulière qui sont dans un rapport de téléscopage et de juxtaposition. Elle se précise (et/ou se transforme) par suppressions et ajouts successifs. C’est une “œuvre-collection” en évolution permanente. Aucun des éléments qui la composent — éléments que l’on pourrait appeler des “fragments de réalité” — ne peut prendre sa pleine signification en dehors de la collection à laquelle ils appartiennent. Elle est un contrepoint à la fragmentation nécessaire pour représenter un réel vaste et complexe. Elle ne constitue pas seulement un inventaire, un état des lieux ou un simple archivage qui seraient établis à des fins historiques (ou celles de témoignage). Elle constitue également une construction imaginaire, une histoire en perpétuelle invention. Ce que les cartes postales touristiques traditionnelles transmettent ce sont des images idéalisées du territoire. Ces images témoignent d’une conception traditionnelle que l’on pourrait appeler “monosémique” ou “monostylistique”. Par conséquent, elles ne rendent pas compte du caractère vaste et complexe de la réalité. Il s’agit d’images fictionnelles du réel, qui construisent un réel artificiel. Trop souvent, dans le récit photographique des cartes postales touristiques, le conflit et la confrontation sont effacés. Dans ce type de récit, les images représentent une réalité où les rapports de force sont inexistants, un réel uniformisé, un réel non divisé. D’une part, l’effacement du conflit installe une certaine violence symbolique. D’autre part, la logique médiatique dominante produit plus de passivité que de savoir. Plus ce type d’images du territoire est véhiculé plus sa diversité est cachée. L’image est ainsi présentée comme preuve (comme trace vraie) de la réalité d’un lieu. Cette vision particulière du territoire est sous-tendue par les principes du sensationnel, du spectaculaire et du simulacre, qui gouvernent les mécanismes de construction et de sélection de l’image. Ainsi, au moyen d’une classification ou d’une catégorisation arbitraire on supprime des liens entre les choses. On compose de ce fait non pas des images comme vue d’un lieu mais des lieux communs, des images “reçues” (à l’instar des idées reçues) dans un style que l’on connaît et que l’on reconnaît. Nul besoin d’explications ou de nouveau code pour les comprendre. Les dessous du monde. Les cartes postales qui composent cette collection opèrent un éloignement par rapport aux images reçues. Elles ne racontent pas la vérité, celle que l’on ne nous montrerait pas ou une certaine vérité “cachée” mais, elles exposent, sous un autre mode d’énonciation, une histoire située hors du processus de production médiatique, imposé par l’industrie de la carte postale. Montrer des images qui révèlent des liens, habituellement supprimés sur les cartes postales traditionnelles, revient à rompre avec une pratique de l’imaginaire photographique où les tensions sont rentrées, refoulées, censurées… Cette collection constitue une réponse à ces images “reçues”. Elle met en œuvre une sorte de reconquête symbolique du territoire, la récupération d’un territoire jusqu’à présent négligé.

 

Country : Allemagne, Espagne, France, Liban, Royaume Uni, Sénégal, Turquie

Number of photos : 48