La vie par un fil 1

Philippe TRUQUIN


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« Mon intestin est malade. Je ne peux pas manger comme les autres. Ça ne se répare pas. J’ai une perfusion qui me nourrit toute la nuit. Ce n’est pas une maladie contagieuse. » Ce sont surtout des enfants, et quelques jeunes adultes. La médecine n’avait pas de solution pour soigner la génération d’avant. Parmi les premiers mots qu’ils connaissent, il y a tubulure, pompe, perfusion, branchement, sonde, cathéter, fistule… Au-delà de la dépendance à cet encombrant dispositif, la maladie s’accompagne de soins fastidieux, de complications et d’urgences, d’impromptus séjours à l’hôpital, de l’incertaine issue. Elle embarrasse le corps, les jeux et les contacts, complique sorties, voyages ou baignades, comme le simple partage des repas. Elle creuse la différence jusque dans les entrailles. Le portrait de famille marque la place centrale que parents, frères et sœurs occupent dans cette situation extrême. Il inscrit la famille dans un cadre normatif qui fait écho à l’obstinée perspective de rejoindre le plus grand nombre et de s’y fondre, au regard de l’autre. « Ces photos me font voyager au pays des enfants et des adultes qui ont un sac et un fil, et qui vivent leur vie avec les sans sacs et les sans fil de façon harmonieuse et avec le sourire, souvent. » dit une maman. La famille fait face, son regard frontal assume l’incongruité du fil torsadé, la valise fait partie intégrante du système. Les images sont prises après le branchement de fin d’après-midi, ou avant le débranchement du matin. Face à cette image sociale un peu lisse du portrait de famille, les images sur le vif du quotidien d’Adélie soulignent l’entrave du fil. Jouer avec son père pendant l’apéro saucisson, éprouver avec sa mère le contact de l’eau, brancher sa poupée, au dehors, dans la maison, dans la chambre, jusqu’au bord du champ stérile installé pour ses propres soins.

 

Country : France

Number of photos : 39