TABLE RASE


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La destruction des quartiers traditionnels en Chine s’est fortement intensifiée depuis une quinzaine d’années. À la place, de nouveaux complexes résidentiels sont édifiés en masse à tel point que toutes les villes commencent à se ressembler.
Quand un promoteur immobilier veut construire sur un terrain, il doit en obtenir l’autorisation auprès des autorités. Ensuite, une entreprise de délogement est engagée pour s’occuper de l’évacuation de la population et de la destruction des maisons. En général, les habitants apprennent que leur quartier sera détruit dans les deux prochains mois quand le caractère « chai », signifiant « détruire, destruction » est affiché sur les murs des maisons. Seuls les propriétaires peuvent être compensés, souvent au quart du prix du marché. Il est fréquent que des habitants résistent, tentant de négocier une meilleure compensation, mais les entreprises de démolition étant payées pour faire évacuer le terrain le plus vite possible n’hésitent pas à recourir à tous types de pressions pour dissuader les habitants de négocier. Par ailleurs, les autorisations étant souvent allouées contre malversations, les plaintes en justice sont déboutées. Face à l’absence de reconnaissance de leurs revendications, les délogés maltraités – qui sans même le savoir, s’opposent au pouvoir en refusant la destruction de leurs maisons – sont astreints à résister passivement. Ainsi, un peu partout en Chine, des familles refusent de quitter leurs maisons, même à moitié détruites, dans l’espoir d’obtenir des compensations proportionnelles à la perte de leur logement. Les négociations se font au niveau local, directement avec l’entreprise de démolition, sans intervention possible d’une partie tierce et neutre. Coupures de courant en hiver, tapage nocturne, vols, jets d’excréments, coups et blessures, etc. sont le lot commun de ces habitants. Sans reconnaissance juridique, les médias chinois ne peuvent dénoncer cette situation, les habitants résistants vivent isolés et la voie est ouverte à la violence. C’est paradoxalement à ce prix que se fait l’accession à la propriété privée. Ces images témoignent de cet instant entre deux, entre passé et futur, d’étouffement et de disparition de tout un mode de vie traditionnel, où la rue tenait lieu d’espace public. Instant sur lequel se construit la nouvelle nation chinoise qui fait table rase de son passé. 2005 / 2006 Shanghai, Hangzhou, Canton, Chengdu
Boris SVARTZMAN

Photographs by SVARTZMAN Boris