- POMPES FUNÈBRES -
Les derniers pas sur terre


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 par Anselm Kissel Pendant 4 mois, de Novembre 2013 à Février 2014, j’ai accompagné des croque-morts durant leur service à Berlin. Par volonté d’intégration, pour mieux comprendre leur milieu et être accepté par les croque-morts, j’ai décroché un travail de croque-mort dans une entreprise de Berlin. Dans la société allemande, la mort est culturellement tabou. On ne parle pas des morts. Le métier exige donc la plus grande discrétion. Le service du croque-mort est très important et délicat. Pourtant, le métier souffre d’une mauvaise image et, à 5 Euros de l’heure, est très mal payé. J’ai pu observer deux catégories de croque-mort. L’une a une attirance pour le métier, pour la proximité avec la mort, le calme et recherche une forme de paix intérieure. L’autre cherche juste un travail alimentaire simple. C’est pour cette raison que l’on y retrouve beaucoup d’anciens chômeurs en fin de droit. Même si ailleurs, en Amérique du Sud par exemple, le croque-mort est, du fait de sa grande responsabilité avec les morts, toujours très respecté, en Allemagne, le croque-mort, est toujours le perdant de la société. Le reportage est publié dans l’édition de Mars 2015 de Chrismon (chrismon.evangelisch.de)   ENTERVIEW : Depuis quand travailles-tu sur ce sujet et combien de temps as-tu suivi ces croque-morts berlinois ? :
J’ai travaillé un an sur ce sujet et j’ai passé 4 mois auprès de croque-morts que j’ai accompagnés et avec qui j’ai travaillé à Berlin.

Pourquoi avoir choisi de travailler sur des croque-morts allemands et non pas sur des Français ? Y a-t-il quelque chose de spécifique chez les croque-morts d’outre-Rhin ?
Non, il n’y a rien de spécifique chez les croque-morts en Allemagne si ce n’est qu’en hiver l’ambiance est encore plus grise et triste. Il y a également de beaux cimetières à Berlin.
En outre, les vieux Berlinois sont plus durs : je trouve cela intéressant pour des photos.

Qu’est-ce qui t’intéressait dans ce job ? Avant de commencer à travailler ton sujet, avais-tu des idées préconçues sur le métier de croque-mort ? Celles-ci ont-elles correspondu avec la réalité ?
Ce qui m’intéresse est que c’est un métier ancien et connu, et pourtant cette profession est toujours mal perçue et ce, à cause de la mort : la mort est toujours un tabou, on ne parle pas de ça.
Dans cette société, le croque-mort est souvent quelqu’un d’opprimé ou marginal (alcoolique, sexiste, raciste, au chômage,…) mais ce peut être aussi et au contraire, des étudiants, des artistes, des musiciens qui font ce boulot volontairement et avec passion. Finalement, l’idée que j’en avais correspondait avec la réalité.

Comment s’organise la journée typique d’un croque-mort ? Est-elle très générique et routinière ou au contraire, pleine de « surprises » ?
Il y a 2-3 enterrements par jour et généralement le travail est très réglé et organisé. L’équipe des croque-morts doit être sur place une demi-heure en avant la cérémonie et ramène aussi parfois le corps.  Il est très important d’être ponctuel car sans les croque-morts les pompes funèbres ne peuvent pas commencer à travailler (disposition du cercueil dans la chapelle, fleurissement…).
Il y a également au coup par coup des corps à aller chercher dans les hôpitaux, à domicile… ( dernière photo, avec l’immeuble au fond)

As-tu tissé des liens avec les personnes que l’on voit sur les photos ? De quelle façon acceptaient-ils ta présence ?
Après quelques semaines, ils savaient que je prenais des photos pour un reportage et que j’en avais l’autorisation. Je m’entendais bien avec eux.
Ils ont compris que je faisais le travail sérieusement et pas seulement pour 2 semaines. J’étais accepté et je pouvais photographier librement.

À quoi ressemblent les relations entre croque-morts ? Sont-elles amicales, ou au contraire simplement « professionnelles » ? Que font les croque-morts à l’heure de la pause ?
L’ambiance entre collègues était plutôt amicale et légère.
Durant les trajets jusqu’au cimetière, ils discutaient beaucoup dans le camion, de tout et n’importe quoi. Ils rigolaient comme des élèves dans un bus scolaire. Arrivés au cimetière tout s’arrêtait car il fallait être calme et sérieux. Et ils fument aussi énormément…

Quel est l’avis général des croque-morts sur leur propre métier ? Sont-ils fiers de leur job ou au contraire, très critiques vis-à-vis de celui-ci ?
En général, ils ne sont pas fiers d’être croque-morts. Les vieux ne parlent pas en public de leur boulot ; même s’ils le font avec plaisir, pour se détendre ou simplement pour être occupés ou gagner encore un peu en sus de leur retraite, cela reste secret. Ils se sentent mal vus.

Quel est le profil psychologique des croque-morts que tu as rencontrés ? As-tu remarqué des comportements « typiques » du métier de croque-morts ?
Il y a deux groupes :
– les vieux, les alcooliques, sexistes, racistes, au chômage, berlinois (j’exagère un peu) qui font ça comme n’importe quel boulot, sans émotion.
– et des musiciens, des étudiants,… qui ont une passion pour ce boulot,  qui adorent les cimetières et l’ambiance un peu mélancolique…
J’ai aussi travaillé avec un collègue qui était croque-morts pour voir des corps ; je n’ai pas demandé pourquoi même si c’est bizarre.

Quelle est, selon toi, la plus grande différence entre un métier quelconque, traditionnel, et celui de croque-mort ? Sont-ils si éloignés que ça des autres travailleurs et employés ? La mort est-elle si présente que ça dans la tête de ces gens ?
La différence est que, chaque jour où il travaille, un croque-morts est confronté à la mort. Même s’il ne le réalise pas toujours, à chaque fois il porte un cercueil. Autrement, il s’agit d’un service comme les autres ; pourtant, pour la société en général, c’est toujours associé à des corps malades, des choses tristes, funestes… Pour cette raison, ils sont mis à distance alors même qu’ils effectuent un travail indispensable et essentiel : ils accompagnent les derniers instants d’un défunt sur terre.

Raconte-moi une histoire particulièrement étrange que tu as vécue en travaillant sur ce sujet.
Une fois, nous étions hors de Berlin pour un enterrement. Après l’enterrement, nous avons dû nous rendre dans un autre cimetière pour reprendre du matériel laissé par des collègues. Le gardien du cimetière était très en colère parce que nos collègues n’avaient pas fermé la tombe. Etant pressés, ils n’avaient pu la refermer car la loi exige d’attendre 3 heures après l’enterrement. Comme la nuit était tombée, nous nous sommes éclairés avec les phares du corbillard et nous avons rebouché le tombe tous ensemble (cf. photos de nuit). Comme nous avions usé la batterie du véhicule, nous avons dû attendre plusieurs heures une dépanneuse ; c’était particulier : 5 croque-mort dans un corbillard au milieu d’un cimetière la nuit en pleine campagne !

Comment es-tu sorti de ces journées passées avec les croque-morts ? As-tu ressenti une envie impérieuse de voir autre chose, d’oublier tout ça ?
Non,  cela me satisfaisait pleinement : être en plein air, sur la route. J’étais par contre parfois un peu énervé par certaines conversations de mes collègues durant les trajets.    Légendes: 01-Trois croque-morts attendent la fin d’une cérémonie devant la chapelle. 02- Les collègues ferment une tombe après l’enterrement.  03- Un collègue sort de la salle d’attente des croque morts: « Träger » 04- Après l’enterrement, deux croque-morts tirent le chariot pour le transport du cercueil. 05- Le chariot pour transporter les fleurs destinées au cimetière. 06- Des cercueils dans une cave d’une chapelle 07- des collègues attendant la fin de la cérémonie pour pouvoir transporter le cercueil. 08- Préparation d’un cercueil dans le cave d’une chapelle. 09- Un croque-mort sortant du cimetière après l’enterrement. 10- Deux croque-morts vérifier la tombe avant l’enterrement. 11- Deux croque-morts tirant le chariot des fleurs après l’enterrement 12- Un croque-mort pendant la fermeture de la tombe après l’enterrement. 13- Un croque-mort qui posant dans une chapelle à côté d’un arbre de noël. 14- Un croque-mort attendant ses collègues devant une chapelle, pour récupérer les fleurs. 15- Une tombe. 16- Un collègue posant avec une pelle. 17- Des collègues pendant la fermeture d’une tombe. 18- Des croque-morts préparant un cercueil dans une chapelle. 19- Des croque-morts derrière une chapelle pendant la cérémonie. 20- Un collègue, devant le bâtiment des pompes funèbres.
21- Un croque-mort pousse un cercueil dans l’ascenseur qui monter à la chapelle. 22- Des croque-morts préparant un cercueil dans la chapelle. 23- Au cimetière, deux croque-morts tirant un cercueil. 24- Au cimetière, des collègues après la cérémonie. 25- Des croque morts allant chercher un corps dans un immeuble. 

Photographs by KISSEL Anselm