PANKISSI,
ENTRE PEUR ET OUBLI


This post is also available in: French

  Guillaume POLI
Tchétchènes du Pankissi – Géorgie
Juillet 2012  Tout Tchétchène est, dans l’imaginaire populaire, un fier guerrier caucasien ou un terroriste potentiel…
 
Ces clichés qui proviennent de la littérature russe et des guerres de Tchétchénie, altèrent l’image des Kistes, ces tchétchènes de Géorgie. Minorité autant crainte que mal connue, car musulmans en pays chrétien et trop proches de la turbulente Tchétchénie, ces géorgiens sont considérés comme des citoyens de seconde zone.
 
L’histoire de leur arrivée en Géorgie prend place dans les années 1820-1870. Les Kistes sont des tchétchènes qui fuient l’armée tsariste conquérante et les strictes lois musulmanes de l’imam Chamil vers des terres plus paisibles.
 
Une légende évoque ce passage au sud du grand Caucase de manière idyllique : “Un jeune tchétchène, parti à la recherche d’une brebis perdue, s’était égaré dans une forêt de l’autre côté de la montagne, en Géorgie. Son père le retrouva, mais épuisés par leur périple, ils passèrent la nuit sur place. Le lendemain matin, ils virent que de leurs bâtons plantés en terre, jaillissait une source d’eau près de laquelle des hirondelles avaient fait leur nid. Ils décidèrent alors de s’installer en ce lieu béni.”
 
Aujourd’hui, les quelques huit mille Kistes considèrent toujours la Géorgie comme leur patrie. Ils vivent dans six villages le long de la rivière Alazani, dans la vallée du Pankissi, à 60 km de la Tchétchénie.
 
Un passé tumultueux. Musulmans soufis, les Kistes parlent un dialecte tchétchène et le géorgien. Epargnés de la déportation massive des Tchétchènes en 1944 et de l’assimilation géorgienne, ils ont su préserver leur langue, et leurs traditions.
 
Suite aux deux guerres de Tchétchénie (1994-1996 et 1999), la vallée du Pankissi voit affluer des milliers de réfugiés tchétchènes, principalement des victimes craignant pour leur vie.
 
Une minorité de combattants font de la région une base arrière du conflit Tchétchène et une plaque tournante de vente d’armes et de drogue.A la fin des années 90, l’instabilité de la région profite à des clans qui prennent en étau la population Kiste. Pankissi échappe alors au contrôle de l’Etat géorgien.
 
Lutter contre l’abandon. Perchée au Nord-est de la Géorgie, enclavée et sous-développée, cette région pauvre vit en quasi-autarcie. Le quotidien des Kistes est particulièrement rude à Pankissi, le chômage y dépasse les 50% et si la criminalité galopante des années 90 semble désormais lointaine, bien des problèmes demeurent sans solution.
 
De fait, les quelques commerces locaux bénéficient du soutien financier et des conseils d’ONG internationales, dont l’UNHCR. Et pour subvenir à leurs besoins, beaucoup de foyers kistes ont un parent émigré, la plupart saisonniers en Turquie.
 
Quel avenir pour les Kistes de Pankissi ? Au final, les questions économiques ont été négligées au profit de la géopolitique, obérant les chances de désenclaver cette région périphérique méprisée et caricaturée.
Sophie Tournon
Légendes : 01. La vallée du Pankissi s’étend sur une longueur d’environ dix kilomètres et sur cinq kilomètres de large. Elle est constituée d’une dizaine de villages situés dans les contreforts du Caucase. Il faut plusieurs heures de route pour y parvenir de Tbilissi, malgré une distance de moins de 100 km.02. Chaque vendredi, les fidèles soufis se réunissent à la mosquée historique de Duissi pour la grande prière. C’est aussi l’occasion d’aborder les préoccupations quotidiennes lors d’un débat entre fidèles.03. La famille Gourgashvili vit dans cette petite maison du village de Duissi. Dans cette chambre, les parents dorment avec trois de leurs enfants.04. A cause de revenus insuffisants, cette jeune mère de famille est contrainte d’habiter dans la maison de ses parents avec ses propres enfants.05. Maison de Tamat, réfugié Tchétchène du village d’Omalo. Il a quitté son pays natal en 1999, alors que la deuxième guerre de Tchétchénie avait éclaté. Depuis, il vit en Géorgie et exécute des menus travaux agricoles pour nourrir sa famille.06. Préparation de Khinkalis, ces raviolis géorgiens farcis à la viande. Si les Kistes ont su préserver leurs traditions, ils se sont ouverts aux coutumes géorgiennes.07. Jeune garçon dans la mosquée d’Omalo. L’heure de la prière d’après-midi (al-asr) est proche. Ce pilier de l’islam rythme les journées du village.08. Alexander est Kiste, il vit avec sa famille dans le village de Duissi. Converti au wahhabisme il y a 10 ans, il pratique un islam strict et fréquente la nouvelle mosquée où les musulmans soufis ne vont pas.09. Les filles participent aux tâches domestiques. La différenciation des sexes est importante. Les garçons seront mis à contribution bien plus tard pour les travaux de force et les réparations.10. Jeunes filles habitant dans la maison attenante à la petite mosquée d’Omalo.11. Issa est un grand croyant soufi. Il vient tous les jours dans ce petit enclos, qu’il a construit de ses mains, pour prier et contempler la vallée.12. Moussa, un des bouchers de Duissi, dépèce un mouton tué le matin même.13. Dans l’arrière salle d’une épicerie, le drapeau tchétchène est apposé au mur. Le vert symbolise l’islam. Le rouge, le sang versé pour la liberté et le blanc, l’espoir d’un avenir meilleur.14. La famille de Vaja a migré en Géorgie il y a environ 200 ans. Vaja est forestier, il entretient les arbres des alentours pour 200 Euros par mois. Sa femme est au chômage. Ils perçoivent à peine de quoi vivre et ne bénéficient d’aucune aide de l’Etat.15. Grande prière du vendredi dans la mosquée soufie de Duissi. Si les autres jours, les prières se pratiquent souvent à la maison, le vendredi les fidèles soufis se réunissent dans la mosquée historique du village.16. Deux femmes lavent des viscères dans la rivière Alazani.17. Mohammed, pensif dans un bâtiment désaffecté de Duissi.18. Mosquée d’Omalo. Les cinq appels quotidiens à la prière sont effectués dans ce dégagement qui mène au minaret.19. Si la Géorgie est un pays rural, cette vallée en est le plus parfait exemple. Ici pas d’usine, pas de grande entreprise. Les plus chanceux ont un travail, voire un commerce. Les autres, les plus nombreux, subsistent avec l’élevage et produisent leur nourriture : viande, fromage, pain, lait…20. Au delà du symbole fraternel, les embrassades chaleureuses traduisent les liens forts qui unissent les villageois de la vallée.21. Après plusieures semaines de jeûne, le Ramadan touche à sa fin. En cette période, les musulmans commémorent la révélation de la parole de Dieu au prophète.22. Avec un taux de chômage supérieur à 50%, quel avenir pour les enfants de la vallée ? Certains partiront en Turquie, en Ukraine et parfois en Russie, accentuant la désertification et l’enclavement de la région.

Photographs by POLI Guillaume