OUBLIS & EBLOUISSEMENTS


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Services Alzheimer « long séjour ». Théâtres de mémoires percées. Peu de jours, long séjour pour toujours. J’avance à tâtons, doucement. Les couloirs sont longs et vides. Je vais de chambre en chambre, trajectoires et trouées du soleil guident mes pas. Les visages se ressemblent. Les solitudes se rassemblent. Je passe des heures à errer ; à traîner comme on traine une nuit d’ennui et d’insomnie dans son appartement. Personne ne prête guère attention à moi. Avant la photographie, de longs instants, je reste sans mouvements. Je sais que rien ne se passera, mais, l’appareil photo masquant mon visage, j’attends une acceptation tacite de l’image à venir. Comment donner de la tendresse, de l’amour ?
Mes photographies sont parfois perçues comme « difficiles », un médecin m’ayant même dit « C’est pas ça, je ne reconnais pas mon service ».  Nous sommes dans un labyrinthe, le Minotaure dévore les mémoires et ne sera pas vaincu.  Je ne comprends pas ces reportages aux vieillards riants, entourés de personnels hospitaliers, d’enfants ou de petits enfants… Ce n’est pas ce que j’ai vu, ce n’est jamais ce que j’ai vu : les blouses blanches sont rares, les familles, souvent, ne sont que des apparitions ou n’existent tout simplement plus. Photographier au plus noir, parce que c’est plus réel. Pendant un temps je
faisais des cauchemars, imaginant une ronde d’yeux ridés et absents autour de ma couche. Difficile de s’extraire de ces images, c’est comme si en quittant l’hôpital quelque chose me suivait, puis, alors que je hâtais le pas, me poursuivait.  Légendes :Photo 01-  Il y avait beaucoup de lumière, un éblouissement au milieu du silence. C’était un hiver finissant, parfois, au dehors, on entendait les oiseaux. Photo 02-  La lumière se faufile, glisse. C’est presque une effraction de douceur.Photo 03-  Souvent le sommeil, comme si, avec acharnement, l’on fermait les yeux pour oublier que l’on oublie.Photo 04-  Peu importe l’horloge et les secondes ; ricanements aigus des aiguilles. Que vient donc faire cette boulette de papier sur cette table vide ?Photo 05-  Monsieur *** est à l’hôpital Charles Foix depuis plus de vingt ans. Ses peintures recouvrent les murs à tous les étages : les trois femmes de sa vie reproduites à l’infini sous forme de traits de couleur, mouvements de couleur.Photo 06-  Mademoiselle ***, nous parlons de Venise, son père y possédait un palais aux alentours du Rialto. Les eaux recouvrent les couloirs de l’hôpital, tout est noyé, malgré mes visites régulières, à chaque fois, je trouve moyen de me perdre.Photo 07-  Couloirs sans fin, errance, je songe encore aux canaux de Venise. Fantômes sans aucune mémoire.Photo 08-  Bucarest.  Mêmes couloirs, mêmes gestes, mêmes regards, mêmes blêmes lumières. Photo 09-  Vieillesse et enfance au milieu des flots. Nul bateau. Photographier est retenir en vain.Photo 10-  Je ne suis pas bien sûr de l’endroit où je me trouve, plutôt où je me perds. Les grains d’argent nous recouvrent. Je cite « La bêta-amyloïde est un peptide néfaste pour le système nerveux. La présence d’agrégat de bêta-amyloïde et de protéine tau sont les signes caractéristiques de la maladie d’Alzheimer. » Je le dis à nouveau : les grains d’argent nous recouvrent.Photo 11-  C’était une fin d’après midi d’automne. Robe fanée. Caresses crépusculaires. Qui donc viendra soulever les draps, défaire le lit ?Photo 12-  Je n’ai pas inventé de mise en scène, la mise en scène se faisant toute seule, ni recherché l’instant décisif, puisque, en ces lieux, comme en d’autres, l’instant, assurément, n’existe pas.Photo 13-  Mon objectif grand angle embrasse les miroirs et les fleurs. S’il vous plait, ne vous cachez pas de moi, ne me scrutez pas du coin de l’œil.Photo 14-  Mme * pose fièrement. Le vent traverse, racle, ses poumons. Je demeure près d’elle. Nous ne disons mot. Nos sourires se reflètent

Photo 15-  Comme si la mer et la vieillesse se retiraient. Le sable du désert est semblable à celui des grèves.Photo 16-  Je suis l’inconnu. Ai-je disparu ? Je voudrais que la photographie me disparaisse.Photo 17-  Netteté à n’en plus finir – le dire deux fois -, comme un film tournant en rond autour de lui-même. C’est bientôt Noël.
 
Photo 18-  Tous les masques se ressemblent. Pose longue au bord de la fenêtre.Photo 19-  Comment dénombrer la pénombre ? L’hôpital est-il un théâtre, une gare ? Que reste-t-il des rêves, dans l’endormissement permanent ?Photo 20-  Paupières sans hier ni demain, sans souvenirs à venir. 

Photographs by BAUDAT Herve