ODE À LA JOIE
Orchestre de Stolac


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Un orchestre est un ensemble qui fait de la musique. Une fanfare, un ensemble de musiciens qui font de la musique pour la communauté. Cette musique exprime les joies et les peines que l’on partage avec les autres, lorsque nos cœurs battent à l’unisson. Écoutée ou jouée, elle renforce les liens qui unissent les individus. La fanfare de Stolac fait de la musique pour une communauté qui, de fait, n’existe pratiquement pas.
La ville – une des plus anciennes structures urbaines de Bosnie-Herzégovine – a été détruite pendant la guerre et peu reconstruite depuis. Ses habitants d’avant-guerre ont disparu : ils ont été expulsés ou tués. Le pouvoir municipal – partagé entre les nationalistes bosniaques et croates – semble tenir à ce que la division ethnique persiste afin de rendre une vie normale commune impossible : les enfants bosniaques et croates ont des cours séparés, les uns le matin, les autres l’après-midi ; qui plus est, ils se rendent à l’école en empruntant des portes d’entrées différentes !
Les dirigeants s’efforcent de faire perdurer la crise, entravant les tentatives de renouveau économique.
La fanfare de Stolac a, par miracle, réussi à renouer, dans cette ville ravagée et divisée, avec la tradition du « faire de la musique » pour la communauté.

La fanfare est constituée de survivants – membres de l’orchestre d’avant-guerre – et de très jeunes gens qui ne gardent probablement aucun souvenir des années de vie commune et de gloire de la fanfare d’antan. A présent, ils sont là et ils jouent pour marquer les événements de la vie commune.

Cette fanfare est pourtant un orchestre comme tous les autres, un ensemble qui, pour pouvoir faire de la musique, doit être composé d’individus qui travaillent avec acharnement et passion leur instrument et sont à même de jouer seuls. C’est ce que veulent montrer ces photographies. La fanfare n’est pas présentée par une série de photos de groupe ou à travers le processus commun de création, mais par une série de portraits individuels des membres de l’orchestre. Ils partagent la même position – debout, le même uniforme, celui de leur orchestre – et chacun a son instrument entre les mains.

Mais la valeur unique de ces photos ressort du rapport individuel et individualisé que chacun entretient avec son instrument. La jeune fille, le sourire aux lèvres, tient son saxophone comme un enfant qui enlace son nounours. Le petit garçon au tuba gigantesque qu’il serre avec sérieux et fermeté, donne l’impression d’être protégé par son instrument, comme si c’était son meilleur ami qui le défend face au caïd de l’école. Le saxophoniste âgé tient son instrument comme si c’était son propre bras blessé. La flûte est touchée du bout des doigts, tendrement, comme une fleur qui vient d’être cueillie. L’instrument, on le tient dans ses bras, il est une troisième main, on l’étreint comme si dans l’instant qui suit on allait le porter aux lèvres pour y poser un baiser ou en tirer des sons. Les regards et les corps ont l’air de dire : « Prends-la, cette photo, puisque tu y tiens, mais sache que ce n’est pas pour ça que je suis là, laisse-moi te montrer ce que je sais faire… ». On y lit la fierté, l’obstination, le bonheur de pouvoir là, maintenant, grâce à ce bout de cuivre brillant et curieusement tordu, montrer de quoi on est capable, avec les autres et tout seul, envers et contre tout.Cet orchestre de cuivres va fêter son 80ème anniversaire en entonnant l’Ode à la Joie de Beethoven, une des plus émouvantes pages de musique jamais écrites. C’est une musique qui transcende cette communauté que ses dirigeants s’évertuent à rabaisser en alimentant les divisions qui n’ont pas lieu d’exister. Jouer l’Ode à la Joie est un message, un message que ceux qui ont détruit Stolac et qui la maintiennent dans cet état de profonde désolation seraient incapables de comprendre : « Nous sommes là, ensemble, dans cette ville qui reste, contre vents et marées, un lieu magnifique. Nous sommes en train d’y bâtir quelque chose qui dépasse ce qui nous entoure. Et maintenant, laissez-nous vous montrer ce que l’on sait faire…» 

Andrea Lešic.

Légendes :01- NINA PAPAC, écolière02- MUJO GUBELIC, garçon de café03- MISLAV GOLUZA, écolier04- DJEMAL   TUCAKOVIC, plombier05- ALEN FESTIC, écolier06- AZRA DIZDAR, étudiante07- SARA   ŠKRBA, écolière08- ZORA  MARIÆ, écolière09- ELHA  TURKOVIÆ, écolière10- MELIHA  TUCAKOVIÆ, écolière11- TEUFIK PEZO, écolier12- MENSUD MEDAR, professeur13- IBRAHIM RATKUŠIÆ, écolier14- MEHMED TUCAKOVIÆ, écolier15- HALIL ELEZOVIÆ, Président de l’orchestre16- ZVONKO KNEŽEVIÆ, professeur de musique17- ARMANA PREMILOVAC, écolière18- ASMIR BAJRAMOVIÆ, écolier19- NEBOJŠA BULUT, ingénieur agronome20- TAHIR JAŠARBEGOVIÆ, policier

Photographs by KOVACEVIC Milomir