LES EXILÉS DE L'OUBLI


This post is also available in: French

La République Démocratique du Congo

L’Iturie est une province d’une grande richesse, elle possède des gisements d’or dont le rendement attise la jalousie des seigneurs de la guerre, qui ont, depuis, revêtu la panoplie du politicien. A la sortie de la brousse, certains se sont autoproclamés les Excellences d’un royaume peuplé d’exilés que le monde a oubliés au profit d’une guerre un peu plus à l’ouest, le Liberia. Nous pourrions rappeler que statistiquement, il y a autant de morts en Iturie que Moravia peut compter de cadavres. Une guerre moins visuelle, alors, qui s’en soucie ?

Bunia sans armes visibles, une détermination comme hymne à la force multinationale, hymne chanté à présent sur les ondes par radio Artémis, relayé par les tracts émanant du service de presse de la Force et placardés partout dans la ville de Bunia. Mais qu’en est-il en dehors de Bunia, car Bunia n’est pas l’Iturie.
La force multinationale est un précédent malgré la limitation temporelle et géographique de son mandat, elle a réussi là où la Monuc a échoué, elle a ramené l’ordre dans la ville, elle a assuré la sécurité collective. Cependant, la sécurité au plan individuel dépend aussi de la volonté des Ituriens : La mort, les enlèvements sont bien sûr quotidiens, mais peut-être que la volonté des hommes n’est qu’un parchemin précieux livré au carnage des hommes de mauvaise foi.
Cette guerre n’est pas assez visuelle, il n’y a pas de milliers de réfugiés sur les routes comme on pourrait s’y attendre, des enfants atteints de malnutrition visible, elle malmène toutes les stratégies de nos ONG, de la Monuc, mais aussi notre stratégie médiatique.
Si l’opération Bunia sans armes visibles est une réussite, on peut affirmer que la guerre sans morts ou sans réfugiés suffisamment visibles est un succès.
On fera plus de cas de la mort d’Amin Dada, que des affamés anonymes disséminés dans la brousse. La mort ici est obscène, elle n’a pas de censeur puisque les journalistes n’y accèdent que très difficilement ou pas du tout. Donc, il faut beaucoup de morts reconnus comme un palmarès pour avoir droit à la reconnaissance des médias et pour susciter l’intérêt.
L’autorité compétente, la Monuc dans son principe général, est une passoire dont les enquêtes ne filtrent jamais, puisqu’elles n’aboutissent qu’au non-lieu des criminels devenus aussi anonymes que leurs victimes.

Prenons un exemple précis : Fataki a fait l’objet d’attaques depuis le 31 Juillet. Une délégation de la MONUC a survolé Fataki en feu au retour de Mahagi où elle est allée conduire une délégation de la commission de concertation des groupes armés. Délégation qui est censée nous faire croire à un cessez -le -feu. Mais la Monuc , et cette fameuse commission de concertation ne contrôlent- t-elles que les sites qui ne font plus l’objet de combats, ou alors elles ne sont pas habilitées a voir les combats tant qu’il y a les combats. Nous ne comprenons plus très bien si la visite d’une délégation n’engage que ceux qui commanditent les massacres. Que dire alors, des malades à l’hôpital saccagé, et laissés à l’abandon depuis au moins 10 jours, sans soins, sans eau ni nourritures. Les familles supplient la Monuc par de dérisoires rapports comptables précisant leurs noms, prénoms et localités, afin que la Monuc instaure un couloir de sécurité pour enterrer leurs morts qui pourrissent sur place. La Monuc attend la clearence pour atterrir. Cette autorisation ne peut venir que des chefs de milice qui sont inconnus au bataillon à Fataki. Alors, on oublie et on passe à la prochaine visite de la délégation des groupes armés, où on en profitera pour rameuter les humanitaires distributeurs de biscuits.
En conclusion, n’oublions pas les femmes, les enfants, les hommes de Fataki, de Nizi, de Largo, trois localités que j’ai désignés comme le Triangle de la mort. C’est l’histoire de cette guerre si invisible.

khanh renaud

Photographs by RENAUD Khanh