INDE,
LA MALÉDICTION DE NAÎTRE FILLE


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36 millions de femmes manquantes.
L’Inde ne compte que 93 femmes pour 100 hommes. En 2001, le recensement officiel a créé un choc en montrant que sur un milliard d’Indiens, il « manquait » 36 millions de femmes, qui ne sont pas nées, qui ont été tuées à la naissance ou qu’on a laissé mourir en bas âge.
Une préférence ancestrale pour les garçons, avivée par le matérialisme.
La tradition religieuse exige un fils pour assurer les rites funéraires du père, et seul le fils hérite du nom et du patrimoine. Mais surtout, les filles sont considérées comme un fardeau financier : la dot traditionnelle et les frais de mariage peuvent engloutir les économies de toute une vie, d’autant que l’Inde moderne et consumériste connaît une inflation dans ce domaine : bijoux, cash, électroménager, voitures….
Avoir une fille : un risque mortel pour les femmes.
Une femme en Inde n’est une femme digne de ce nom que si elle donne le jour à un fils. Si c’est une fille, elle peut être renvoyée par son mari et sa belle famille, être battue, voire tuée. Les médecins font donc des avortements de fœtus filles en pensant rendre service aux femmes. La pression sociale et familiale est si forte qu’elles-mêmes ont honte d’accoucher d’une fille => cas réguliers de vols de bébés garçons dans les maternités, par des femmes qui y laissent la petite fille qu’elles viennent de mettre au monde.
Une « tuerie silencieuse ».
La politique indienne de limitation des naissances a accentué la sélection : si on a moins d’enfants, il faut être sûr d’avoir au moins un garçon. Certains villages dans le Rajasthan se vantent de n’avoir pas vu naître une fille depuis … dix ans. Dans les villages de l’Haryana, on dit : « Ici, quand une fille naît, c’est par accident. Pas par choix ». La sélection se pratique autant dans les campagnes qu’au sein des classes urbaines et éduquées.
La banalisation de l’échographie.
Depuis 20 ans, des milliers de cliniques privées se sont ouvertes en Inde : 900 appareils d’échographie dans l’Haryana par exemple. Des centaines d’unités mobiles d’échographie ont même sillonné les villages avant d‘être interdites en 2001, mais elles circulent encore illégalement, selon les ONG.
Les cliniques privées proposent des « packages » échographie + avortement du fœtus fille, pour 5.000 à 10.000 roupies (85 à 170 euros). Même les pauvres préfèrent dépenser ces sommes plutôt que d’avoir une fille. Publicités (interdites) des cliniques : « mieux vaut dépenser 5.000 roupies maintenant que 50.000 roupies plus tard » (pour payer une dot).
Des avortements illégaux.
L’IVG est légale jusqu’à trois mois : or, à ce stade on ne peut pas discerner le sexe du bébé. Les avortements ont donc souvent lieu plus tard, dans l’illégalité. Les cliniques ne déclarent pas les actes, et les femmes brouillent les pistes en changeant de ville.
Une impunité quasi totale.
Une loi de 1994 interdit les échographies et les avortements à but sélectif. Mais elle n’a pas été appliquée. Après un recours d’ONG devant la Cour Suprême en 2001, un amendement est venu accroître, en 2002, les contrôles et les peines encourues. Mais beaucoup de médecins continuent de bafouer la loi : ils désignent le sexe du bébé avec un langage codé (« un doigt pour un garçon, deux si c’est une fille »).
Réactions des autorités qui organisent des raids de flagrant délit dans les cliniques. Selon les ONG, s’ils sont pris, ils rachètent un autre équipement et exercent sous un autre nom. Inertie et corruption : aucun médecin n’a encore été condamné à de la prison.
De nombreux abandons de filles.Persistance marginale des infanticides.
Les méthodes d’infanticide (bébé fille plongée dans l’eau froide, étouffée dans une jarre de terre cuite, ou un sac plastique jeté ensuite à la décharge, empoisonnée avec une plante toxique, ou étranglée. Rituel macabre : sucrerie dans la bouche du bébé et on lui dit « pars, et envoie-nous un frère »)
Les conséquences d’une société sur-masculinisée.
Depuis 20 ans, l’échographie sélective a créé une société sur-masculinisée, et ponctuellement, dans les régions où le déficit est le plus marqué, les hommes ne peuvent plus se marier.
Témoignages sur la violence qui s’accroît envers les femmes (puisqu’elles sont plus rares) : enlèvements d’adolescentes, viols collectifs.
Trafic de femmes, le commerce des fiancées.
Conséquence du manque de femmes : ce sont souvent les pauvres qui restent célibataires, car les riches achètent des femmes à des intermédiaires.
La tentation de la polyandrie.
L’achat d’épouses fait courir le risque d’un retour de la polyandrie en Inde, surtout dans les cas où une famille n’a pas les moyens d’acheter plusieurs épouses pour tous les fils.Textes extraits du livre ”Quand les femmes auront disparu”.
L’élimination des filles en Inde et en Asie.
Benedicte MANIER
Éditions, La Découverte – 2006

Photographs by SADIN Lizzie