ENTRE TERRE ET MER
Les Stigmates
de la Tempête Xynthia


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Frédérique JOUVAL
France – 2012

De loin, la catastrophe naturelle la plus violente et la plus meurtrière de ces dernières décennies, avec près de 60 morts disséminés entre la Charente–Maritime et la Vendée. Un Katrina à la française, une tragédie qui a laissé des stigmates sur la terre comme dans les esprits.
En une nuit, une vague a englouti les terres gagnées sur la mer depuis 200 ans par l’homme. La nature a repris ses droits sur les constructions abusives rognées en bord de mer au prix d’une conquête littorale effrénée.
Un récit des rescapés d’un radeau de la méduse moderne. Le parcours du combattant de sinistrés, qui se battent encore deux ans après, pour garder leur chez eux.
Des rescapés qui ont vu leur maison transformée en tombeau, et leur quotidien basculer. Zonage arbitraire, maisons vendues à l’Etat repreneur à la va-vite, destructions expéditives des maisons … Des pans entiers de villages de paysans de la mer ont été rayés de la carte. Des petits ports de producteurs de moules et d’huîtres sont devenus des cimetières.
Portraits de naufragés de la vie, sans souvenirs ni maison. Sans mémoire, ni avenir. La tempête comme une seconde peau qui colle, indélébile.
Jean Claude & Louisette, se sont dit plusieurs fois adieu la nuit de la tempête. Elle a eu les ongles arrachés à force de se tenir au lampadaire toute la nuit, puis tombera en hypothermie au petit matin, en attendant les secours.
Maryse & James, ont eu peur et ont dû vendre à l’Etat. Aujourd’hui ils se sentent déracinés. N’ayant pu sauver aucun souvenir « d’avant », ils n’arrivent pas à reprendre leurs marques dans leur nouveau chez eux, relogés « ailleurs ».
Anita a baigné dans 1,20m d’eau, prise au piège de sa maison, elle s’échappera par les combles, toute nue avec un sac plastique sur la tête en portant ses affaires.
Maud, jeune cultivatrice de moules de Bouchot continue à perpétuer la tradition familiale vieille de 4 générations sans savoir si sa cabane ostréicole en bord de mer résistera à la nouvelle loi littorale…Une raison de vivre réduite à un point d’interrogation.

Légendes :
01- Port de Charron. Ces villages ruraux qui n’ont pas bougé depuis des décennies, comme figés dans le temps ont vu leur quiétude immuable soufflée par la déflagration de la tempête. Les villages des éleveurs d’huîtres et de moules ont été réduits à des jouets miniatures face à une force démoniaque.

02- Charron était constitué de 3 îlots qui ont été occupés. Il y a 50 ans, le réseau de drainage avec tous les canaux n’était pas encore construit… Les vieux se souviennent faire du vélo dans les cuvettes qui étaient inondées tous les hivers. Exactement là où des constructions ont été érigées.

03- Des sinistrés qui n’ont rien vu venir. À leurs yeux, la tempête n’a pas eu de représentation. Beaucoup ne l’ont pas sentie, ni même vue arriver… L’eau est arrivée là où on ne l’attendait pas, prenant à revers les zones construites.

04- L’avant-veille, elle s’inquiète que les oiseaux ne viennent plus picorer. 83 ans plus tôt, le grand-père d’Anita, la rescapée du Génie, à la Pointe de l’Aiguillon, avait vécu une autre Xynthia, au même endroit. « La prochaine fois l’eau viendra par derrière » qu’il disait. Il ne s’est pas trompé. Anita a baigné dans 1m40 d’eau, prise au piège.

05- En grignotant sans cesse des espaces sur la mer, l’homme a délibérément omis de protéger les zones d’habitation. Xynthia et les catastrophes climatiques sont autant de piqûres de rappel et de régulateurs qui rétablissent l’ordre naturel des choses.

06- Le port de Charron (Charente Maritime). A marée basse, la même nappe d’eaux troubles chargées de vase brune refait surface. Un paysage comme un mirage, où se confondent le sable et la vase, où les vasières communiquent avec le pré-salé, où les chenaux s’enlisent dans les marécages.

07- Grands chenaux empruntés par la marée montante et descendante, qui assurent le drainage des prés-salés. Des vasières à la surface craquelée suggèrent les fentes de retrait de l’eau…

08- Pris à son propre piège, l’homme s’est fait prendre à revers par l’eau, sur des terrains inondables. Responsable de la dégradation de son environnement, Xynthia l’oblige à accepter les faits : sa vulnérabilité et son impuissance face à une nature souveraine.

09- Des rescapés qui ont vu leur maison transformée en tombeau et leur quotidien basculer. A Charron, ce ne sont que des habitations principales qui ont péri. Stéphanie et Norbert avec leur fille Anaïs devant leur maison murée.

10- Dans l’anse de l’Aiguillon des côtes des Charente-Maritime, là où la cote marine générée par la tempête a été maximale. Décrété en « zone noire », tous ses habitants seront invités à quitter les lieux pour leur sécurité.

11- Jean Claude & Louisette, se sont dit plusieurs fois adieu la nuit de la tempête. Elle a eu les ongles arrachés à force de se tenir au lampadaire toute la nuit, puis tombera en hypothermie au petit matin, en attendant les secours.

12- Des rescapés de la Faute sur mer qui ont vu leur maison transformée en tombeau, et leur quotidien basculer. N’ayant pu sauver aucun souvenir « d’avant », ils n’arrivent pas à reprendre leurs marques dans leur nouveau chez eux, relogés « ailleurs ».

13- Ceux qui ne sont pas morts, se demandent pourquoi ils sont toujours vivants… Le couple a été décoré pour avoir secouru toute la nuit les sinistrés. Vincent avec sa yole (petite embarcation), et Cécile pour les avoir nourri et blanchi à la maison.

14- Le soir de la tempête, Yan Aujard, le pêcheur de civelle de l’Aiguillon, pêchait en rivière sur son bateau. « A 2h du matin, la mer ne sonnait pas de la même façon. Indigné par le fait qu’il ne reste presque plus de traces sur son territoire, Yan a inscrit la marque de la digue qu’il faudrait ériger dans la commune.

15- Charron a perdu son âme, son cachet. Que va devenir le village une fois ses maisons en zones inondables rasées?

16- Des pans de mur écroulés jonchent le sol. La nature a repris à l’homme les territoires qu’il avait rognés sur l’océan. En France, il n’existe pas de culture du risque comme au Pays-Bas ou au Japon. C’est là que le danger survient, sourdement… Quand l’état d’inconscience générale et la vulnérabilité d’une population s’accroissent.

17- La nuit de Xynthia, à Sainte-Radegonde-des-Noyers, Jean-Paul Rault a vu périr sous ses yeux ses 600 moutons. Jean-Paul Rault a une approche visionnaire et globale de l’agriculture. Il fait pâturer ses moutons sur les digues qui entourent son exploitation. Avec leurs pattes, les ovins bouchent les fentes, ce qui reconsolide les digues. Une pratique vieille de 30 ans qu’il a réhabilitée sur le marais poitevin. «Je veux que l’on prenne conscience que les éleveurs sont là pour participer à l’entretien des digues. Elles protègent les exploitations agricoles, certes mais aussi tous les habitants du marais, et même au-delà…»

18- Le sel a rendu les terres infertiles sur les terrains agricoles du marais près de La Dive.

19- Où sont passés les paysans de la mer cet hiver ? « Sur Charron, on fait tout sur nos bateaux-ateliers : on pêche, on conditionne les moules. On s’est prêté le matériel resté indemne» souligne Eric Ferran.  La capitale de la moule de bouchot vivait totalement en autarcie avant Xynthia, comme une île isolée, loin du tourisme. Quatre ou cinq familles d’éleveurs de moules y sont installées depuis dix générations.

20- Sur la plage d’Aytré, Robert Brochot, amoureux de son littoral, caresse le varech de ses doigts, empreint de nostalgie. Il repense à son enfance, quand le varech jonchait la plage. Une « laisse de mer » de la tempête Xynthia a fait revenir une espèce endémique, disparue depuis des générations à cause de la main de l’homme… une autre protection naturelle diminuait la force des vagues et retenait le sable sur la plage : les dunes. Avant Xynthia, la plage était systématiquement nettoyée, si bien que les dunes n’étaient plus naturellement protectrices. Le 28 février 2010, la nature a rétabli l’équilibre.

Photographs by JOUVAL Frédérique