DERNIERS INDIGÈNES


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 A Val-Suzon, en plein cœur de la Bourgogne, quelques individus nés d’une époque pas si lointaine où la rigueur de la nature s’alliait à la chaleur des cœurs, voient leur petit village de cent-trente âmes se transformer en ville dortoir et leurs terres se faire ronger par la mondialisation. Les petites exploitations ont été rachetées par de grands groupes et les enfants de ces "derniers indigènes" ont renoncé à travailler ici et sont partis en ville. Alors, ce sont des siècles de traditions et de souvenirs qui s’arrêtent brutalement. L’altruisme et le travail de la terre qui étaient les fondements de cette micro société, sont aujourd’hui obsolètes. Les choses ne sont pas en train de changer dans ce village, c’est une rupture nette avec le passé et tout ce qui composait une vie simple, dure peut-être mais pure. Les derniers habitants ont un regard effrayé quand ils parlent de l’avenir de Val Suzon. Comme s’ils évoquaient un proche touché par la maladie. A l’heure où tout va très vite, où l’argent est primordial, il est étrange de se retrouver dans cet endroit où rien ne va plus vite que les arbres qui poussent et où les gens vous racontent que l’argent n’était nécessaire qu’une fois tous les deux ans pour acheter une paire de brodequins.
Il est important aujourd’hui d’avoir de petits besoins, mais à mesure que ce village disparaît, et il n’est pas le seul, les besoins se font au contraire de plus en plus grands. Comme si le diable – auquel ils font souvent allusion – avait gagné son combat et nous faisait sombrer peu à peu dans l’erreur. Qui serait prêt, comme Marcel dit le « Selo » à vivre sans eau chaude ni salle de bains ? Certes c’était un peu exagéré mais cela ne l’empêchait pas d’avoir une santé de fer. J’ai eu la chance de pouvoir écouter leurs récits à tous et il est bien difficile de résumer cela en quelques mots. Maintenant, ils ne sont plus que quelques-uns au village et par cette série d’images j’aimerais leur rendre hommage et témoigner des dernières merveilles qui composent ce lieu, tant dans le cœur de ces gens que dans la nature qui les entoure.
Légendes :
01- Val-Suzon, un matin en été. D’après la légende, c’est ici que Rimbaud aurait écrit le "Le Dormeur du Val" 02- Simone Collet me raconte qu’à six ans déjà, elle allait seule le soir chercher les "bestiaux" pour les ramener au pré. Il fallait du cran, car ici la nuit est noire et les arbres anthropomorphes donneraient la chair de poule à n’importe qui. 03- Il fut un temps où les enfants vivaient dans la même maison que leurs parents. Bien sûr aujourd’hui ce n’est plus le cas, que ferait Simone sans son chien Lorca?  04- Sous-bois un matin dans les collines qui bordent le village. Je comprends le mysticisme des villageois au contact de la nature qui les entoure. 05- Eplucher les pommes de terre. Je prie pour être invité à manger ce midi. 06- La doyenne, Mlle Hugii me montre un manuscrit d’écolier tenu par son grand-père ici à Val-Suzon. On y explique l’utilité de la nature et comment cultiver la terre, entre quelques pages de cours de morale. 07- Mlle Hugii, 96ans, a décidé de vivre seule à jamais après que l’homme qu’elle aimait, un résistant, se soit fait descendre sur le front. Après cela, elle a elle-même fondé un corps de résistance féminin spécialisé dans les télécommunications. Elle passait le reste de ses jours à broder des tapisseries à la gloire de la nature dans un style renaissance. 08- Sur les plateaux un matin. En cherchant un abri de la pluie torrentielle, je tombais nez à nez avec un chevreuil qui détala soudain comme si j’étais le diable en personne. 09- 70 années de travail de la terre. Marcel Clémencet dit le "Selo" vivait chez lui sans aucun confort moderne. Il est mort bien après mon propre grand père qui vivait en ville avec tout le confort, alors qu’ils avaient le même âge. 10- Les interminables histoires de chasse de Marcel et Robert. Autour d’un verre de rouge-cassis, les voix s’enthousiasment, un brin teintées de mélancolie, avec cet accent bourguignon marqué qui roule les "r". Robert tenait un restaurant à Val-Suzon et avait une étoile au Michelin. Il a servi les chevreuils que Marcel chassait à des gens comme Charles de Gaulle, Jacques Brel ou encore Brigitte Bardot, qui aimaient se reposer ici. Aujourd’hui à cause des nouvelles normes sanitaires, c’est devenu impossible, l’hôtellerie a été rachetée et on y cuisine des pâtisseries avec des œufs en poudre. Robert évite de passer devant. 11- Marcel, sa femme Olga et leurs petits-enfants. La ferme considérée comme insalubre va probablement être détruite. Son seul espoir de subsister est qu’un riche dijonnais la rachète par plaisir. 12-  Un jour de pluie. 13- Les Bouchard. Leur plus grand plaisir est de me raconter les histoires du village, autour d’un verre d’un alcool de pêche maison absolument délicieux. Aujourd’hui, ils sont tous deux en maison de repos et ont quitté le village. 14- Guy Bouchard et ses camarades de classe à Val-Suzon en 1936. Tout à droite, en haut, Marcel Clémencet pose une main bienveillante sur l’épaule de Guy et de Roger Collet. 15-  Le champ des "Grogneaux". Le soir, les bêtes craintives sortent délicatement du bois sans un bruit et à l’affut du moindre craquement pour se nourrir.16- A huit heures pétantes, le klaxon de la boulangère retentit dans toute la vallée. Un des rares contacts humain pour Jeannette, qui à l’époque travaillait dans la même ferme que Simone. Aujourd’hui elles ne se voient presque plus, bien qu’elles habitent à cent mètres l’une de l’autre. 17- Après la mort de son mari, Jeannette passa ses journées à broder ces bonhommes de laine, et à compter le nombre de voitures qui passent sur la nationale depuis le muret de pierre en bas de chez elle. 18- Le champ du "Selo".19- Partie de pêche pour les petits Val-Suzonnais un samedi après-midi. Je me demande à quoi s’amusent les citadins au même moment. Ils m’ont confié vouloir devenir agriculteurs comme leurs grands-parents. 20- Promenade à "la Forestière".    

Photographs by BOUDOUL Sébastien