Tijuana, si loin de Dieu, si proche des Etats-Unis


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 « Pauvre Mexique ! Si loin de Dieu, si proche des Etats-Unis » : cette célèbre phrase déclamée par le dictateur Porfirio Díaz pour manifester son hostilité envers le voisin du nord, est toujours d’actualité au Mexique comme en Amérique Centrale.
La géographie et le dessin des frontières ont en effet très tôt été l’objet de rivalités belliqueuses entre les États-Unis et le Mexique. À peine indépendante (1821), la jeune nation mexicaine dispute déjà aux Etats-Unis la république séparatiste du Texas, qu’elle perdra définitivement en 1835. Puis en 1848, les États-Unis du Mexique se verront amputés de deux millions de kilomètres carrés – le Texas, la Californie, l’Arizona et le Nouveau-Mexique – au profit des nord-américains et de leur politique expansionniste. Un siècle et demi plus tard, le conflit s’est déplacé sur le terrain migratoire. Un mur a remplacé la frontière naturelle du Rio Grande.
L’attrait d’un salaire en dollars et d’une vie meilleure, la proximité géographique, historique et culturelle (Los Angeles est la ville qui compte le plus de mexicains après Mexico) ont encouragé des millions de personnes à traverser illégalement la frontière. Près de 6000 chaque jour. À l’ombre du port de San Diego, Tijuana est aujourd’hui l’une des villes les plus inhospitalières du Mexique. Avec quatre millions d’habitants, elle est le « quartier général » des candidats à l’immigration illégale vers les États-Unis. C’est ici que l’on cherche son pollero (passeur) pour « passer de l’autre côté ». C’est ici que l’on gagne ses derniers pesos avant le grand départ. C’est ici aussi que, pour certains, le voyage se termine. Victimes de l’avidité des polleros, prisonniers de la vie décadente de Tijuana, ou tout simplement pour avoir trop attendu le grand jour. Si bien que ces candidats au départ viennent surpeupler la ville qui accueillait déjà les utopistes de l’exode rural.
Les plus vulnérables sont les plus jeunes. Une fois leur projet de quitter le Mexique avorté, ils entrent dans le cercle vicieux de la rue et de la drogue, survivent de mendicité, prostitution ou délinquance. Se rappelant le rêve américain lors de rares moments de lucidité, d’abstinence ou de faim. Trop peu bénéficient d’un programme de désintoxication. Certains, trop nombreux, sont déjà séropositifs du fait de leurs pratiques sexuelles à haut risque et du partage des seringues. A la périphérie de Tijuana, le CIRAD est l’une des seules institutions qui vient en aide aux toxicomanes et séropositifs. Connu sous le nom de Casa de las Memorias, le centre prend en charge vingt-cinq personnes, leur rend dignité et humanité après qu’ils aient perdu tout espoir d’immigrer. Ils y redécouvrent la fraternité. Le travail bénévole de Benjamin, vingt-et-un ans, en témoigne. Toxicomane, il a été contaminé par le VIH en partageant sa seringue avec d’autres junkies alors qu’il n’avait que dix-huit ans ; il suit depuis un an un programme de désintoxication. « En m’occupant de mes camarades, j’ai découvert que je pouvais faire quelque chose de gratifiant dans ma vie » dit-il. Atteint d’un virus modifié (la personne qui l’a contaminé a sans doute bénéficié d’un traitement avant de l’abandonner), Benjamin sait que dès la sensation des premiers symptômes, tout ira très vite. C’est pourquoi, en attendant, il « donne un coup de main » et est assuré lui aussi de recevoir une aide tant qu’il poursuit la cure de désintoxication.

Sur l’autoroute, dans la zone de El Bordo, loin du bouillonnement de l’avenue Revolución où les nord-américains ont l’habitude de s’enivrer, Dany et Roberto, deux enfants de dix ans, partagent une bouteille de dissolvant au pied d’un monument dédié à la nation mexicaine. Une inspiration dans un ballon jaune leur donne l’illusion de l’apaisement. Leur regard se perd. Quelques minutes plus tard, ils se disputent la bouteille. Un homme âgé passe près d’eux, les regarde et poursuit sa route, anxieux, dans l’attente de sa dose d’héroïne. L’homme sort une seringue d’un étui crasseux, fait un effort pour que ses mains ne tremblent pas. Une cuillère contient le résidu d’une substance orangée. Il s’enfonce l’aiguille dans le bras. Puis s’écroule sur le sol poussiéreux, provoquant l’éclat de rire de Dany et Roberto. Eux sont déjà dans un autre voyage, pourtant encore loin du « rêve américain », ses dollars et son bien-être supposés. Le soleil disparaît peu à peu. La chaleur est sèche, le littoral est proche mais le vent filoso et hiriente.

Xolotl Salazar Bonilla
(traduction Yasmina Regard)

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