BERLIN NOIR


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Il existe diverses façons d’aborder les images du photographe allemand. On peut les voir comme des produits d’un essuie-glace en marche, synchronisé à l’obturateur d’un appareil photo. Il pourrait s’agir d’une voiture-épave, aux vitres maculées de boue et de crasse. La comparaison se tient, car elle nous indique que c’est le photographe qui braque ses phares vers les recoins sombres, et que c’est uniquement par son biais que nous les découvrons. Et comme tout bon laveur de vitres, il travaille avec soin, affront et exhaustivité. Aussi ingrates que l’on puisse trouver les circonstances de la situation dévoilée, Zownir nous donne à voir le coeur de la ville à travers ses fissures. Il nettoie les vitres boueuses à coups de griffes. Il nous fait passer par des voies secrètes, nous faisant prendre connaissance d’activités que personne d’autre ne montre. Ses sujets appartiennent au royaume des ombres, aux repaires grouillants de vie des morts. Grâce à lui, nous regardons au plus profond des lieux humains, et comme nous n’en avons qu’un aperçu à travers d’étroites fentes, notre regard est incrédule, alerte, notre souffle court, nous consacrons toute notre attention à percevoir le moindre détail plus intensément. Zownir nous prend par la main pour nous entraîner dans un monde jusque-là inconnu.Mais une meilleure porte d’entrée à mon sens est celle de la criminologie. Il ne serait pas erroné de supposer que Zownir, grâce à son travail inlassable, est parvenu à découvrir quelque chose qui n’était pas censé être mis en lumière. La ville, l’homme, l’humanité, tout ce qu’il nous montre, aurait pu se passer presque sans bruit, comme autant de plaintes classées sans suite et de cas non résolus. Le fait que le Berlin d’aujourd’hui, par exemple, soit confronté à ses vieilles habitudes, on le doit en grande partie à la ténacité de Miron Zownir. Non seulement ce photojournaliste solitaire nous montre-t-il ce qu’il s’est vraiment passé, et comment, et de quoi il s’agissait, mais il s’applique aussi à en déconstruire les rouages. Il ne se contente pas de laisser tranquille ce qu’il observe, car il a fréquenté lui-même ces lieux sombres, fait la connaissance de ces gens dans leurs cellules. Et à présent il est leur principal témoin. Même s’il voulait répondre à l’accusation, pour défendre l’accusé, la démarche, pour honorable qu’elle soit, serait de peu d’utilité dans ce cas; les preuves sont trop accablantes, la conspiration a été découverte.
Les tentatives de changer les criminels en victimes et les victimes en criminels sont futiles. Zownir fait parler ses témoins silencieux, ses images sont incapables de parjure. Les photos de Zownir sont des preuves à charge. Le photographe, témoin contemporain, s’est si profondément impliqué dans son sujet qu’il se retrouve violemment accusé, à tout le moins d’être un menteur et un fauteur  de trouble. Ce que nous appelons grandiose et majestueux, ses détracteurs l’appellent provocant et embarrassant. Ce que nous trouvons splendide, approprié et vrai dans ses photographies, d’autres en dénoncent l’ignominie et l’indécence. Ils veulent mettre le témoin sur le banc des accusés. Ils veulent gauchir les faits et faire arrêter le photographe. Mais ce dernier est bien trop à l’aise avec son matériau pour laisser la moindre prise à ces accusations. L’appareil photo autour du cou, il semble bien informé et prêt à collaborer pour établir les faits, par sa créativité. Chaque preuve vivante doit obtenir justice artistique.Alors que d’autres se contenteraient d’appuyer sur le déclencheur, Zownir déchaîne des vagues d’indignation, il utilise son appareil comme un tueur à gages fait usage de son arme, et nous aide à comprendre. Et nous nous laissons volontiers embarquer dans son périple. Zownir veut que nous trouvions les coupables. Il sème délibérément des indices. Il veut être reconnu et jugé en tant que témoin à charge des temps, et il veut faire de nous ses complices. Nous ne pouvons plus (d’ailleurs nous ne le souhaitons pas) rester extérieurs à l’affaire, nous sommes poussés à observer ces scènes dont nous nous détournerions habituellement. Si nous voulions composer un portrait de Miron Zownir, ce serait celui d’un photographe indépendant, un loup solitaire récidiviste. Il fournit un travail acharné et sans concessions, en lutte avec les caricatures de cette ville. Il connaît tous les trucs du métier et il est intraitable, il va au combat contre les optimistes et lâche ses images comme autant de petits chiens renifleurs exaspérants. Les rêves de Goya étaient hantés par des monstres ; Zownir quant à lui témoigne des monstruosités réelles avec les yeux grand ouverts. Il ne travaille pas incognito, il n’infiltre pas les milieux qu’il photographie. Il s’expose au danger de voir son identité reconnue : le photographe Miron Zownir. Il veut se démasquer, par ses photos, dans le meilleur sens du terme, et afin de récolter les fruits de son travail, il tombe sciemment en discrédit. Afin d’attirer le plus grand nombre, il fait de lui un criminel. Il ne peut résister à la tentation de souiller le lit bien fait. Pour apprendre à connaître Miron Zownir, il faut venir à sa rencontre dans une salle d’audience. Ses images attendent impatiemment d’être examinées, et après délibérations, il n’y a qu’un seul verdict possible : innocent sur tous les chefs d’accusation.Peter Wawerzinec
photographs by MIRON ZOWNIR

From 28/03/2017 to 27/05/2017
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