AMAZÔNIA - Sebastião SALGADO


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Avant-propos
Le projet Amazônia parachève l’œuvre monumentale de Sebastião Salgado. Rassemblant les vues saisissantes captées par le photographe lors de sept années de voyage au cœur de la forêt brésilienne, cette exposition est, pour la Philharmonie de Paris, une invitation à rejoindre la réflexion pressante sur le devenir de la biodiversité. Réalisée au contact de douze des nombreux peuples autochtones qui singularisent ce territoire, elle rappelle, par-delà le mythe d’une Amazonie unifiée et essentialisée, la diversité de ses richesses et de la capacité à « faire société ».
Il s’agit également, pour la Philharmonie de Paris, d’aborder ces questions par le prisme de la musique. Aux 200 photographies qui composent la forêt arpentée par Salgado, restituée avec poésie par Lélia Wanick Salgado, commissaire et scénographe, répond un parcours sonore aussi exigeant qu’inventif.
L’exposition Amazônia marque notamment le premier pas du Musée de la musique – Philharmonie de Paris dans le domaine de la bioacoustique. La musicalité si contrastée de la forêt renaît ainsi dans une œuvre de Jean-Michel Jarre composée pour l’exposition, diffusée en stéréo au fil du parcours photographique. À mi-chemin
entre la musique concrète et la musique électronique, cette création convoque un matériau puissant : le fonds d’archives sonores collectées en Amazonie depuis 1950 et conservées aujourd’hui au Musée d’Éthnographie de Genève, ici réinvesti pour produire l’inouï.
Parallèlement, deux salles de projections immersives dessinent des paysages sonores proprement brésiliens.
Un premier espace rejoue ainsi le « Mythe de la création du fleuve Amazone » avec la symphonie Erosão de Heitor Villa-Lobos ; tandis qu’un second découvre le talent des musiciens brésiliens contemporains autour d’une création musicale réalisée au contact des communautés indiennes et dédiée aux portraits et identités captés par Salgado.
Déplacer le regard et l’oreille. Faire entendre, de l’intérieur, les voix de l’Amazonie. Restituer les paroles, les souffles et les sons authentiques. Et enrichir ainsi, par la multiplicité des points de vue, la compréhension de la question amazonienne. Cette attention particulière explique enfin la place qu’occupe, dans la scénographie de l’exposition comme dans la programmation musicale qui lui est associée, la présence et le témoignage des communautés indiennes. Cinq films produits pour l’exposition donnent ainsi, en contrepoint des photographies de Salgado, la parole aux personnalités indigènes concernées, tandis que deux grands week-ends de concerts prêtent la voix aux musiciens brésiliens et aux communautés d’Amazonie.

Marie-Pauline Martin
Directrice Musée de la musique
Laurent Bayle
Directeur général Cité de la musique – Philharmonie de Paris

 

Introduction
Pendant sept ans, Sebastião Salgado a sillonné l’Amazonie brésilienne, photographiant la forêt, les fleuves, les montagnes, les peuples qui y vivent. Cet univers profond, où l’immense pouvoir de la nature est ressenti comme dans peu d’endroits sur la planète, a imprimé dans l’œil du photographe des images saisissantes, la plupart dévoilées pour la première fois au public.
Accompagnée d’une création sonore, véritable symphonie-monde imaginée par Jean-Michel Jarre à partir des sons concrets de la forêt, l’exposition restitue aussi la voix et le témoignage des communautés amérindiennes photographiées.
Imaginée et conçue par Lélia Wanick Salgado, cette exposition immersive au cœur de l’Amazonie est une
invitation à voir, à entendre en même temps qu’à penser le devenir de la biodiversité et la place des humains dans le monde vivant.

 

Amazônia, un voyage photographique
Entretien avec SEBASTIÃO SALGADO

Quelle est la philosophie de ce projet et dans quel contexte est-il né ?
Cette exposition a pour vocation de nourrir le débat sur l’avenir de la forêt amazonienne. Nous devons le mener tous ensemble, dans une optique internationale, et avec le concours des organisations indigènes.
L’Amazonie traverse 9 pays. Le Brésil, qui fait environ 8 fois la taille de la France, regroupe 65 % de la surface totale de l’Amazonie. J’ai entamé ce projet en 2013, conscient de la menace qui pesait sur le devenir de la forêt amazonienne. Mon projet s’est poursuivi jusqu’en 2019. J’ai beaucoup travaillé avec les tribus indigènes, mais aussi avec l’armée brésilienne, qui est déployée sur le terrain pour réprimer le marché de la drogue et qui regroupe en son sein un nombre très important d’Indiens. L’accès à la forêt est très difficile. J’ai donc accompagné l’armée en mission, en photographiant d’un hélicoptère. J’ai ainsi pu collecter ce matériel visuel et montrer la diversité de l’espace amazonien. Peut-être s’imagine-t-on l’Amazonie comme étant une surface plane, avec de nombreuses rivières, mais dans l’exposition on découvrira aussi des montagnes ainsi que des espaces érodés depuis plus de 1 500 ans.

Comment ces territoires se sont-ils transformés depuis votre enfance ?
Le Brésil possède deux grands écosystèmes de forêts tropicales : l’Amazonie, qui constitue la moitié du territoire brésilien, et la forêt atlantique, qui s’étale sur environ 3 000 km le long du littoral brésilien. Je suis né dans cette forêt atlantique ; à l’époque, elle était très dense et dotée d’une incroyable biodiversité. Mais d’ici trente ans, tout cela sera terminé, aujourd’hui ne subsistent que 7 % de sa taille initiale. Si l’on compare la forêt atlantique de mon enfance à celle d’aujourd’hui, c’est une catastrophe. L’Amazonie prend hélas le même chemin ; il y a trente ans, on estimait que l’Amazonie disposait de la totalité de son territoire, alors qu’aujourd’hui 18 % de la forêt a disparu.


La forêt amazonienne, c’est avant tout un immense réservoir d’humidité. Cette dimension est essentielle dans votre travail.

La forêt dispose d’une énorme capacité d’évaporation. L’Amazonie est le seul endroit non océanique qui a la capacité de reconstituer sa propre humidité (alors qu’en principe les nuages ne se forment qu’à partir de l’humidité marine). Environ 1 000 litres d’eau s’évaporent quotidiennement de milliards d’arbres, créant ainsi un flux d’humidité dans l’air ambiant bien plus important que les fleuves amazoniens eux-mêmes. Beaucoup de nuages que l’on aperçoit en France viennent de là-bas.

 

Votre projet est tourné vers le futur, mais ausculte aussi les traditions, celles des peuples que vous avez rencontrés.
L’Amazonie est non seulement un grand espace, mais aussi une des plus importantes concentrations culturelles au monde : plus de 300 peuples différents et autant de langues. Ces cultures ont des traditions héritées des Incas qui, sous la pression des Espagnols il y a 500 ans, sont descendus dans la forêt et n’en sont jamais repartis.
J’ai travaillé avec la tribu Zo’é venue de la côte atlantique brésilienne ; les jésuites en avaient rapporté l’existence en 1580-1600 mais, depuis, on pensait qu’elle avait disparu et puis on l’a retrouvée il y a une vingtaine d’années. Ce peuple a mis plus de 3 000 ans pour migrer de la côté atlantique dans l’État de Bahia au sud de l’Amazonie. Ils ont apporté avec eux les cultures de Bahia et des Caraïbes, ils
sont la mémoire vive de notre histoire.

 

Quel type de relation avez-vous noué avec ces populations, comment vous ont-elles accueilli ?
Depuis la Constitution brésilienne de 1988, pour les protéger, il est interdit d’approcher les tribus. Les groupes isolés qui veulent contacter des personnes extérieures ont la possibilité de sortir de la forêt pour le faire, mais l’inverse est impossible. J’ai travaillé avec des communautés que nous connaissons
depuis seulement vingt ans, et même une fois avec un groupe qui n’avait été contacté que depuis dix-huit mois
Lorsqu’en pleine Amazonie, ceux qui vivent dans la forêt et ceux qui n’y vivent pas se rencontrent, nous nous rassemblons autour des mêmes valeurs humanistes, comme l’amour, la dignité… Arriver en Amazonie, c’est pénétrer dans notre propre espèce.

 

À quel type de musicalité vous êtes-vous confronté lors de ce travail ?
Je suis né dans un pays musical : la musique populaire brésilienne est diffusée et défendue partout dans le pays. Je chante moi-même énormément de musiques apprises durant ma jeunesse, et je n’ai pu photographier l’Amazonie qu’en chantant. La musique a été mon fil conducteur.
Les Indiens chantent beaucoup, jour et nuit, sauf quand ils chassent. Leur silence doit alors être absolu. Mais lorsqu’ils cultivent, collectent des fruits, ou pêchent, ils chantent énormément. Je me suis donc senti chez moi en Amazonie ; il y a de grandes fêtes très musicales, des échanges et des signes de bienvenue qui sont comme des discours musicaux.
Par exemple, lorsqu’un Indien – après un voyage qui peut durer une à deux semaines à travers la forêt – arrive pour une fête, il partage son histoire ; l’invité et l’hôte se tiennent épaule contre épaule, le visage côte à côte ; l’un déroule son récit en chantant, et son hôte donne des nouvelles du village qui le reçoit.
C’est très beau !

 

La scénographie de l’exposition nous immerge précisément dans cette forêt amazonienne…
Le parcours de l’exposition a été conçu comme un voyage en forêt ; on y entre peu à peu depuis les airs et en bateau. On suit le fleuve. La forêt devient touffue et puis on pénètre dans un espace qui évoque les maisons indiennes, où l’on peut rencontrer les tribus. Jean-Michel Jarre a imaginé une composition musicale en utilisant des sons de l’Amazonie à partir des archives sonores du Musée d’Ethnographie de Genève.
Un espace présente en projection des portraits d’hommes et de femmes d’Amazonie illustrés par une bande son de musiques indiennes (composées spécialement pour l’exposition par le groupe Pau Brasil), tandis qu’un deuxième espace présente des photographies de la forêt, accompagnées du poème symphonique de Heitor Villa-Lobos intitulé Erosão.
On y décèle les origines du fleuve Amazone qui draine cette érosion ; la couleur des eaux est celle de la terre.

 

Ce projet englobe-t-il une réflexion plus générale sur les zones dévastées ailleurs dans le monde ?
J’ai beaucoup travaillé en Asie, notamment en Indonésie. Lors de mes premiers voyages, l’île de Sumatra était recouverte par la forêt ; maintenant, il n’y en a plus – tout a été détruit pour cultiver l’huile de palme. Aujourd’hui, dans la partie indonésienne de la Nouvelle Guinée – ce qu’on appelle la Papouasie occidentale, on détruit la forêt beaucoup plus rapidement qu’en Amazonie. La leçon que nous avons tirée de l’Amazonie s’applique donc à la planète entière.
Il y a quelques centaines d’années seulement, nous vivions dans la forêt. Nous formons une partie de la nature, de l’espèce animale, de la biodiversité, et nous devons la protéger pour nous protéger nous-mêmes. Nos vies urbaines font de nous les aliens – les étrangers – de notre planète ; il nous faut retourner à la nature. Reconstruisons une partie de ce que nous avons détruit !

Propos recueillis par Pascal Huynh

 


 

photographs by Sebastião SALGADO

Commissariat et scénographie : Lélia Wanick Salgado
From 20/05/2021 to 31/10/2021
PHILHARMONIE DE PARIS - Musée de la Musique
221, AVENUE JEAN-JAURÈS
75019 PARIS
France

Opening hours : Le mardi, mercredi et jeudi de 12h à 18h - Le vendredi de 12h à 20h - Le samedi et dimanche de 10h à 20h
Phone : 01 44 84 44 84
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