TRAVAILLEURS DÉTACHÉS (de l'Union européenne)

TRAVAILLEURS ATTACHÉS (à leurs pays)


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France – 2017

Les salariés détachés de l’Union européenne, qui travaillent temporairement dans un autre pays que le leur, seraient plus de 2 millions selon les dernières statistiques d’Eurostat, dont 286 000 en France en 2015 selon le ministère français du travail, et même plus de 350 000 en 2016 selon une estimation statistique dévoilée par ‘Les Echos’ le 21 novembre 2017.
Ils sont chauffeurs routiers, soudeurs, mécaniciens… Disséminés aux quatre coins de la France sur la route et dans des petits chantiers immobiliers, ou au contraire concentrés sur de gros chantiers : à Flamanville pour l’EPR, St-Nazaire sur les chantiers navals… Ils sont Portugais, Grecs, Espagnols, Polonais, Bulgares, Ukrainiens, Estoniens…
Qui sont ces travailleurs détachés ? Quand ils ne travaillent pas, comment vivent-ils et s’occupent-ils loin de leur famille ? Où logent-ils, où mangent-ils ?

Mes propositions et mon terrain :
Je m’immerge dans le quotidien de salariés détachés installés à St-Nazaire et travaillant sur les chantiers navals. Dans cette ville de Loire-Atlantique, ils se sont constitués une petite vie parallèle aux autres salariés (Français) des chantiers. Ils logent dans des hôtels bon marché payés en général par leur employeur. Ils s’approvisionnent en partie dans des commerces gérés par leurs compatriotes venus exprès en France. Ils retrouvent ainsi certaines de leurs habitudes… avant de repartir dans leur pays et leur famille.
Idéalement, j’aimerais aussi suivre des salariés détachés installés à Trieste (Italie).

Éclairage :
Pour les gouvernements de plusieurs États de l’Union européenne, dont la France, les salariés détachés représentent une concurrence pour les travailleurs locaux car ils sont moins rémunérés et moins protégés juridiquement : leurs patrons leur imposent des amplitudes horaires plus grandes sans paiement d’heures supplémentaires, au su des grandes entreprises françaises donneuses d’ordre. Leur présence inquiète les gouvernements d’Europe de l’ouest pour qui ce travail détaché fait le lit des partis populistes. D’où le vif débat au sein de l’Union européenne à propos de la révision de la directive sur le travail détaché datant de 1996.
Le 24 octobre 2017, un accord politique a été trouvé entre une vingtaine d’Etats pour modifier certains points de la directive. Le sujet sera encore d’actualité ces prochaines années tant le temps de la révision d’une directive est long.
Le principe du détachement n’est pas remis en cause, mais les salaires des employés détachés devraient augmenter avec l’application du principe « à travail égal, salaire égal » (13ème mois et primes comprises, dans le respect des conventions collectives). Jusque-là, seul était garanti le salaire minimum appliqué dans le pays d’accueil. Par ailleurs, un détachement serait limité à 12 mois, contre 24 aujourd’hui. Cela concerne tous les secteurs d’activité, à l’exception du transport routier.
Pour les syndicats interrogés –et qui se mobilisent sur le terrain-, cette révision est de la poudre aux yeux car bon nombre de travailleurs détachés quittent la France au bout de quelques mois ; rares sont ceux restant un an ou plus en raison de conditions de travail épuisantes. Les patrons des entreprises sous-traitantes polonaises, estoniennes, portugaises ou bulgares y trouvent leur compte : ils usent leurs salariés parce qu’ils savent que d’autres attendent derrière. Ils ne cherchent pas à fidéliser leurs salariés ni à améliorer leurs conditions de travail. Les syndicats mobilisés tentent de renforcer les droits des salariés présents en distribuant des tracts traduits en plusieurs langues, ils dénoncent certains employeurs auprès de l’inspection du travail en France, qui se met en lien avec les autorités des pays d’où les patrons sont originaires – mais les moyens de ces inspecteurs sont faibles et bien souvent les effectifs tournent avant que les dossiers aient pu être portés en justice. Dans ce jeu du chat et de la souris, la souris gagne car elle va plus vite et le chat reste assez inoffensif.

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Florent Pommier

Photographies POMMIER Florent