CHAMAN, LE DERNIER COMBAT

Les amérindiens Kaingang, identité, coutumes et territoire

Jean-Jacques FLACH

©Jean-Jacques Flach


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Février / Mars  2020

Le Brésil compte près de 211 millions d’habitants dont un peu plus de 700 000 amérindiens qui occupent 594 territoires indigènes sur un total de 100 millions d’hectares (12 % du territoire brésilien). Dans ces larges territoires, 215 ethnies sont répertoriées, qui utilisent 188 langues et dialectes.

Les Kaingang sont un peuple amérindien du Sud du Brésil, issus du tronc linguistique « Macro-jê ». Peuple à l´origine chasseur-cueilleur-pêcheur, semi-nomade, ils vivaient dans les forêts d´Araucaria dans le sud du Brésil. Les premiers contacts avec la colonisation ont commencé à la fin du XVIII ème siècle. Cependant, c´est à partir de la deuxième moitié du XIXème siècle que les impacts de la colonisation se font sentir plus profondément au sein de la société Kaingang. Cette dernière se voit alors transformée de manière plus systématique, notamment avec la militarisation obligatoire des hommes Kaingang. En 1910, la violence physique et symbolique avec laquelle sont traités les amérindiens du Brésil à cette époque est terrible : torture, prison, travaux forcés, viols, vol d´enfants, persécutions des leaders politique-spirituels, etc.

Les Kaingang vivent sur les Terres Indigènes, reconnues légalement par l´Etat Brésilien depuis 1988, sur lesquelles ils sont en conflit avec les grands propriétaires terriens (Acampamentos de Retomadas), ou encore dans les banlieues de certaines villes comme Porto Alegre ou Curitiba. Iracema Gá Teh Nascimento, une leader politique importante au sein du mouvement amérindien, nous accompagne  et explique notre démarche aux communautés rencontrées.

Nous partons de Porto Alegre en direction de Canéla (Rio Grande do Sul), cette commune est située dans la Serra Gaúcha à plus de 120 km au nord-est. Notre rencontre avec Mauricio Salvador (25 ans), leader politique de la communauté Konhún Mbág, se fait dans une forêt en contrebas de cette ville touristique. Mauricio et ses proches ont récupéré récemment leur territoire traditionnel et ancestral dans la Forêt Nationale de Canéla. Face aux projets de privatisation de la Forêt Nationale voulu par le pouvoir politique actuel, les amérindiens Kaingang résistent et proposent un autre mode de vie et de relation avec le territoire. Très vite, la police départementale vérifie nos identités et nous questionne sur les raisons de notre venue…Car, depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro, les amérindiens sont les premières victimes de sa politique, l’idée des politiques en place est de faire progresser économiquement leur pays en spoliant les autochtones de leurs terres dans le plus grand silence !  Mauricio nous fait découvrir leur territoire qui est composé d’une très grande biodiversité et nous fait aussi la visite d’une grotte qui servait d’habitation et de refuge aux Kaingang quand ils étaient chassés par l’armée entre 1850 et 1880.

Plusieurs jours plus tard, nous prenons la route pour nous rendre dans la région de Nonoai, 500 km plus au nord de Canéla. Nous y retrouvons Jorge Kagnãg Garcia, il a 99 ans. Il est connu pour être le plus ancien kujà (chaman) de la communauté Kaingang du Brésil. Fils d’une mère Guarani et d’un père kaingang. Son savoir vient de la relation de ses ancêtres avec la forêt, une relation qu’il continue de tisser aujourd’hui malgré l’expansion dramatique de l’agrobusiness dans la région sud du Brésil.

Il nous parle des 7 communautés qui existaient en 1921 et dont le plus ancien Kaingang a 107 ans !

Jorge se présente comme l’intermédiaire ou l’être intercesseur entre l’humanité et les esprits de la nature. Ce chaman est à la fois « sage, thérapeute, conseiller, guérisseur et voyant ».

Il compose des remèdes avec des plantes de la forêt, parfois il oublie la recette, il attend…et puis il s’en souvient à nouveau !

Jorge Kagnãg Garcia est né sur une autre terre, il était nomade dans sa jeunesse et l’arrêt se faisait à l’endroit où il y avait des fruits et de quoi s’alimenter. Si la nature ne fournissait plus assez de nourriture ou commençait à en manquer, cela marquait le départ vers un autre territoire…

En 1940, à Nonoai les terres étaient plantées d’Araucarias, mais les propriétaires (exploitants) les forçaient à les couper pour rendre les terres cultivables. C’est ainsi qu’actuellement l’on trouve à perte de vue des champs de soja. Cette monoculture demande aujourd’hui un usage intensif d’engrais chimiques.

L’industrialisation du pays a fait le reste, il ne reste quasiment plus d’Araucarias, cet arbre majestueux qui transmettait une âme aux territoires.

Ce chaman ne sait ni lire, ni écrire, la transmission de ses connaissances, son savoir ne peut se faire que de façon verbale. Il appartient maintenant à Iracema Gá Teh Nascimento (57 ans), chamane “rêveuse” et sage-femme traditionnelle, qui possède une grande connaissance des herbes, racines et des êtres de la forêt de s’approprier le savoir ancestral de Jorge Kagnãg.

Le Kaingang pratique une culture patriarcale qui tend à disparaitre. Ils ne sont pas obligatoirement polygames, mais la première femme, commande tous les enfants à naitre ainsi que les autres femmes. Celles-ci porteront le nom de la première.

Les kujá sont les leaders spirituels Kaingang. Leur savoir est directement connecté à la forêt. Grands connaisseurs des plantes, racines et herbes, ils soignent les maux touchant les membres de leur communauté. Le pouvoir des kujá est surtout associé à leur capacité à rêver ; c’est-à-dire, la faculté à pénétrer et agir dans les mondes invisibles habités par les esprits et responsables de provoquer les maladies. Ce savoir leur est donné par un ou plusieurs guides animaux nommés iangré avec lesquels ils créent une intense relation qui se termine lors de la mort du kujá. Avant de mourir, ce dernier devra transmettre ses savoirs à une personne qu’il aura choisie et formée. Les kujà possèdent aussi le don de deviner le futur grâce à des bains de fumée de plantes.
C´est ainsi qu´historiquement, les grands chefs Kaingang comme le chef Nonoai ou le chef Votouro possédaient à la fois un pouvoir lié au domaine politique : stratégie, diplomatie, etc ; ainsi qu´un pouvoir spirituel liés à leur relation intense avec les êtres de la forêt.

Ce reportage présente 3 destins, 3 lieux, 3 générations, mais un seul et même combat ; la sauvegarde de leur identité Kaingang, de leur territoire et de leurs coutumes.

Jean-Jacques Flach


 

Country : Brésil
Place : Porto Alegre - Canéla - Nonoai

Number of photos : 20