RAPA ITI

UN PARADIS FRANÇAIS ?

Paul BÉJANNIN

© Paul Béjannin


This post is also available in: Anglais

2018 / 2019

Il existe dans le monde, une île d’une quarantaine de kilomètres carrés où il est impossible d’acheter un terrain car la terre appartient à tous. Un lieu où l’on se nourrit de ce qui pousse un peu partout et où la viande que l’on mange est le produit de sa chasse. Dans cet endroit, l’argent a peu d’importance et personne ne dort dehors ni ne manque de nourriture. On y partage à parts égales une pêche issue d’espèces que l’on protège et qui se reproduisent sereinement dans des zones interdites à la pêche.

Ce lieu c’est Rapa Iti, l’île française habitée la plus méridionale du monde, à 1 200 kilomètres de Tahiti et à 16 306 kilomètres de Paris. Appartenant à l’archipel des Australes en Polynésie Française, elle est encore grandement préservée de l’influence extérieure et de la mondialisation grâce à sa situation géographique unique, mais pas seulement. Le relief tourmenté de cet ancien cratère volcanique empêche d’y établir un aérodrome, les liaisons ne se font que par mer et les approches exigent de la prudence. Un cargo mixte relie l’île au reste du monde toutes les six semaines environ, mais sa venue reste très irrégulière. C’est là l’unique moyen de s’y rendre ou d’en repartir.

Le mode de vie de ses habitants, leur solidarité et leur rapport à la nature conduisent à l’introspection de nos sociétés occidentales.

Dès le moment où j’ai par hasard découvert son existence, cette île n’a cessé de susciter mon intérêt. J’ai eu besoin de comprendre comment cette microsociété française fonctionnait. La rareté étonnante des ouvrages concernant Rapa Iti et le fait qu’aucun photojournaliste n’ait passé de temps sur place afin d’y réaliser un reportage m’ont décidé à m’y rendre dès que cela a été possible.

Il a fallu plus d’un an pour obtenir l’autorisation de la mairie avant de m’y rendre et d’y entamer un travail en immersion. Après dix jours de voyage, j’ai donc passé six semaines sur place entre avril et juin 2018. J’y suis retourné une deuxième fois afin de terminer mon reportage pendant quatre semaines entre décembre et janvier 2019.
Lors de mon dernier séjour j’ai découvert que depuis 1938, certains visiteurs comme des responsables administratifs, des infirmiers, instituteurs, militaires ou autres ont laissé des traces de leur passage sur l’île dans un livre d’or gardé précieusement à la station météo. Je n’ai pas osé y laisser de mot mais voici le message que je souhaiterais adresser aux habitants de Rapa Iti :

Aronga (Bonjour),
Votre accueil inconditionnel ainsi que votre générosité et la confiance totale dont vous m’avez fait cadeau m’ont touché et je vous en remercie profondément. Mais je voudrais surtout vous signifier ma plus grande reconnaissance pour ces pensées qui m’accompagnent depuis mon retour à Paris.
Quand nous nous acharnons à économiser la moindre minute, vous prenez le temps de les regarder passer.
Quand nos anciens ne sont plus considérés comme nos égaux et que nous payons des fortunes pour ne pas avoir à nous en occuper au quotidien, vous les veillez à tour de rôle pendant des semaines lorsqu’ils tombent malades.
Quand nous achetons chaque jour plus de choses pour avoir l’impression d’exister, vous partagez la plupart de vos biens et de vos ressources, car vous ne voyez pas l’intérêt de les garder pour vous seul.
Quand nous achetons de la viande qui a plus voyagé que nous en une vie, vous découpez la vôtre, originaire de vos baies.
Quand nous réalisons enfin que nous ne pouvons continuer à vider les océans sans laisser le temps aux espèces de se reproduire, vous avez réintroduit le Rahui depuis maintenant plus d’une trentaine d’années, cette coutume ancestrale qui permet la préservation des espèces.
Cette façon de vivre fait votre fierté, et force l’admiration. Cependant, depuis quelques années et l’arrivée d’internet, des consoles de jeux, des smartphones et de leurs réseaux dits « sociaux », certains d’entre vous sortent de moins en moins, se couchent plus tard, ne cuisinent plus ensemble… La mauvaise nourriture plastifiée remplace petit à petit des mets locaux. Bien trop riche en sucre, sel et autres graisses, elle a ainsi commencé à en rendre certains malades…
Alors s’il vous plait, continuez à protéger votre île ainsi que le mode de vie qui vous définit.
Ce cargo qui passe quand il le veut bien est votre meilleur ami. Mais il joue aussi le rôle de cordon ombilical en ne filtrant rien de ce qu’il apporte à Rapa Iti.

Tongia (Merci)
Paul Béjannin


 

Pays : France
Région : Polynésie Française
Lieu : Archipel des Australes

Nombre de photos : 50