LES SAINTS LÉGUMES

Claire JACHYMIAK

Jachymiak


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Ce reportage porte sur le Moulin de Braux où l’on cultive des légumes en agriculture biologique, il est situé à mi-chemin entre Semur-en-Auxois et Vitteaux en Côte-d’Or. Moi-même sensibilisée au bio comme de plus en plus de monde aujourd’hui, je suis allée à la rencontre de Luc et lui ai proposé de faire un reportage et de témoigner de son métier sur une année, au fil des saisons. Cette démarche m’a permis de faire la connaissance d’Isabella très présente sur les photos et dont le parcours m’a fasciné mais aussi de Gérald et de Paul que l’on aperçoit de temps en temps. Ce projet est un témoignage sur les conditions difficiles du métier de maraîcher en agriculture biologique, particulièrement au Moulin de Braux, très loin du confort auquel aspire la société moderne.
Situées dans la plaine vers le village de Braux, les terres autour du Moulin ne présentent pas les qualités requises pour le maraîchage. La terre est glaise et collante, dure à travailler. Aujourd’hui, les maraîchers préfèrent s’installer dans le Val de Saône où la terre est plus sablonneuse, meuble.
Luc cultive des légumes depuis le début des années 80 et fait partie des pionniers en matière d’agriculture biologique. Pour Luc, cultiver est un véritable engagement et il a une foi sans faille dans le travail (d’où le titre de mon projet – Les Saints légumes). Sa manière de travailler est restée assez archaïque, on désherbe à la main, on récolte tout manuellement aussi, les nouvelles technologies en matière d’agriculture biologique (désherbage thermique, machine agricole permettant de récolter certains légumes) ne semblent pas être arrivées jusqu’au Moulin de Braux. Probablement par choix au départ (car l’agriculture biologique intensive a d’autres impacts environnementaux, le désherbage chimique tuant la biodiversité des sols…) et finalement contraint par le cercle vicieux d’un travail sans relâche et acharné afin de produire en quantité suffisante et satisfaire une clientèle exigeante. Luc est entouré de Gérald, embauché à plein temps et d’un second mi-temps. Il reçoit un grand nombre de WWOOFers habituellement mais aujourd’hui ils se font rares au Moulin. (WWOOF – de l’anglais « World-Wide Opportunities on Organic Farms » – est un réseau mondial de fermes bio. Les hôtes se proposent d’accueillir des WWOOFers pour partager leurs connaissances, leur savoir-faire, leur quotidien et leurs activités avec la possibilité pour ces derniers d’être logés et nourris). Luc enchaîne des semaines qui frôlent les 100 heures de travail.
Gérald est embauché à plein temps au Moulin, en plus d’un second mi-temps qui a changé au cours de l’année. Gérald abat aussi un travail énorme. Il dort sur place toute la semaine car il vient de loin.
Paul est néo-zélandais. Il passe une bonne partie de l’année au Moulin, les mois d’été il part sur les routes du sud de la France. On lui offre le gîte et le couvert contre de bons et loyaux services. Il aime parler avec moi mais n’apprécie pas trop que je le photographie.
L’arrivée d’Isabella, jeune allemande de 18 ans venue dans le cadre du volontariat écologique franco-allemand passer un an comme bénévole au Moulin de Braux a été une bouffée d’oxygène pour Luc. Isabella a commencé son année de bénévolat au mois de septembre 2015 et est repartie en septembre 2016. Cette expérience initiatique fut difficile même si elle a su relever le défi qu’elle s’était fixé, ce qui est évidemment satisfaisant. J’ai été époustouflée par la force de caractère et la ténacité d’Isabella qui a honoré son contrat de bénévole jusqu’au bout. Pour l’anecdote, elle a été repérée du haut de ses 1m85 pour faire du mannequinat, elle a finalement refusé cette offre et a poursuivi son travail d’apprentie maraîchère en agriculture biologique… Quelques petites escapades lui ont permis de tenir le coup où elle retrouvait d’autres bénévoles comme elle à Dijon, des « copines » de son âge qui lui faisaient oublier le temps d’un week-end qu’elle était une des rares présences féminines au Moulin
(La compagne de Luc étant immobilisée dans le sud de la France depuis l’hiver dernier).
Ce lieu est atypique et il m’a attiré d’emblée car malgré le fait qu’il soit totalement isolé en milieu rural, on y croise toutes sortes nationalités, on y parle un peu français, un peu anglais… On y mène une vie spartiate, presque monacale où alcool et tabac sont proscrits et où chaque jour, les rituels de travail et de vie se ressemblent et se répètent, seule la météo capricieuse peut parfois modifier le cours des choses. Les journées sont toujours rythmées de la même manière : lever 6 heures à l’automne, au printemps et en été, 7 heures en hiver ; travail dans les serres ou sur le terrain avant le petit-déjeuner vers 8 heures et jusqu’à 13/14h ; préparation du déjeuner constitué essentiellement de crudités et de légumes cuits dont la préparation nécessite 2 heures de travail et enfin une journée qui continue et qui s’achève vers 20/21 heures, voir plus pour Luc. Ce mode de production ne laisse pas tellement le choix, tout le monde se retrouve contraint et forcé quotidiennement de faire plus que son quota d’heures. L’ascétisme qui y règne crée une ambiance bien particulière que j’ai tenté de saisir au plus près.
Pour conclure, ce reportage sur l’environnement, une exploitation en agriculture biologique qui a un rendement et des résultats indéniables, relève aussi de la photographie sociale, en ce sens qu’il témoigne de conditions de travail difficile (charge de travail très élevée, impossibilité de recruter plus d’un employé et demi). Cette exploitation est bien loin des modes de production intensifs qui proposent aussi des coûts plus bas et permettent à un plus grand nombre d’accéder au bio (avec d’autres inconvénients par ailleurs). Enfin, cela soulève aussi l’épineuse question : pourrait-on nourrir la planète avec cette approche de l’agriculture biologique ?
Claire Jachymiak


Pays : France
Région : Côte-d’Or

Nombre de photos : 47