LES ROHINGYAS DE L'ARAKAN

Constance DECORDE


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Dil Shan a 8 ans. Au lieu d’aller à l’école comme les autres petites filles de son âge, elle doit s’occuper de ses frères et soeurs. Ses 2 parents sont morts. Elle vit ici, dans le camp de Dar Paing, au nord ouest du Myanmar, depuis 8 mois. Seule avec ses 4 frères et soeurs, dans un abri de fortune fourni par une ONG. Seuls, avec comme tous biens les produits de première nécessité distribués par l’ONG Solidarités International. Depuis les affrontements de juin et d’octobre 2012 avec la communauté bouddhiste Rakhine, les musulmans de l’Etat d’Arakan, aussi appelés Rohingyas, vivent tous dans des dizaines de camps situés aux alentours de la ville de Sittwe, chef lieu de cette région frontalière du Bangladesh. Déjà privés de nationalité par une loi de 1982, la plupart ont vu leurs maisons bruler, leurs moyens de subsistance annihilés, leurs vies quotidiennes détruites, et ils dépendent désormais entièrement de l’aide apportée par les organisation internationales. Leur vie, désormais, se limite à ces camps, sans infrastructure de santé ou d’éducation, sans possibilité d’exercer leur métier et donc de gagner de l’argent, et avec l’interdiction formelle d’en sortir. Si les autorités nationales, via l’armée, leur construisent des abris plus pérennes, normalisant un peu plus cette situation de ghettoïsation ethnique, la situation n’est pas sur le point de s’arranger pour Dil Shan et les 10 235 personnes vivant à Dar Paing : apatride, sa liberté d’aller et venir réduite à néant, sans aucun autre droit que celui de survivre, Dil Shan n’a décidément pas une vie de petite fille de son âge.

 


Dans le camp d’Ah Nauk Ye, la situation de Nour Begam est encore plus difficile: situé sur une presqu’île dans le golfe du Bengale en face de Sittwe, uniquement accessible en bateau, les Rohingyas réfugiés ici sont isolés et loin de tout. En saison des pluies, comme c’est le cas actuellement, cette langue de terre se transforme véritable marécage, et l’aide humanitaire peine à s’acheminer. Arrivée ici en octobre 2012, après la deuxième vague d’affrontements entre les communautés Rakhine et musulmanes, et après avoir aussi vu sa maison bruler, Nour a 33 ans et 7 enfants. Elle vit dans un abri distribué par l’UNHCR, et avoue ne pas recevoir assez de riz pour nourrir toute sa famille. Avant, elle vivait dans une maison dans le village de Paktaw. Avant, elle avait un travail. Depuis les «événement» comme on les appelle pudiquement ici, elle n’a pas le droit de sortir de ce camp abandonné au milieu de nulle part. Elle n’a pas le droit de travailler. Elle n’a plus aucun droit. « Faites quelque chose pour nous, je vous en prie » glisse-t-elle avant de rejoindre sa famille. Solidarités International construit ici des points d’eau ainsi que des latrines, et organise des sessions de sensibilisation à l’hygiène, indispensables dans cet environnement humide propice à la propagation des maladies hydriques. Mais cela semble peu par rapport aux besoins criants de ces personnes à qui on a tout retiré. Mohamed Ali, 43 ans, a perdu son père et son beau-frère dans les affrontements. Il est arrivé dans le camp de Baw Du Bah avec ses 5 enfants en juin 2012. Il habite dans un abri qu’il a construit luimême, et est membre du comité d’eau, d’hygiène et d’assainissement mis en place par Solidarités International. Quand il habitait encore Sittwe, il était ingénieur dans une compagnie de construction. Ce qu’il souhaite plus que tout : retrouver son travail. Subvenir aux besoins de sa famille. Retourner dans son village d’origine. Retrouver sa vie d’avant. Quand les relations avec les bouddhistes Rakhine étaient encore possibles. Mais le nombre toujours croissant de personnes arrivant ici à Baw Du Pah ne lui donne pas beaucoup d’espoir. Ici, il ne se sent pas en sécurité : il y a souvent des problèmes avec les autorités nationales, et il a entendu parler de personnes disparues, subitement. De plus, l’environnement humide des rizières sur lesquelles a été construit le camp entrainent de nombreuses maladies hydriques, et sans réelle infrastructure de santé, beaucoup d’enfants sont malades. « Je souhaite rentrer chez moi, tout simplement ». Un souhait simple, mais pour l’instant impossible à réaliser.

Pays : Birmanie
Lieu : Sittwe

Nombre de photos : 25