Les forçats du soufre

Patrick BLANCHE


This post is also available in: Anglais

The volcano Kawah Ijen, the “green crater,” in eastern Java has a unique acid lake.  In this devil’s den, hundreds of men harvest the sulfur in the midst of thick clouds.  They carry heavy loads on their shoulders along many kilometers of difficult terrain.  The volcano kills these men slowly.  But the yellow gold serves to refine sugar in nearby factories.  In the miner’s camp, many wooden huts dispersed in the haze give the impression of a dangerous way of life.  Two hours before sunrise, I arrive at the camp.  At this time, many have already left to work at the bottom of the crater in order to avoid the heat of the day.  The track leading into the site makes its way amongst tall dry grass and, after a couple of kilometers, finally reaches the slopes of the volcano.  The brown dust becomes speckled with yellow sulfur stones indicating the route to take.  Suddenly, when the vegetation has become thicker, a panting Indonesian appears from around a bend, jogging down the path.  On his shoulders is a yoke with two bamboo baskets bending under the weight of two enormous yellow blocks.  He disappears as quickly as he came.  The path becomes straighter and more slippery.  Suddenly the horizon disappears and with the first light of the day the crater becomes visible, with a vast mass of smoking water at the bottom.  It is the famous acid lake.  The crater walls, worn away by the fumes, plunge vertically into the lake.  A vision of the apocalypse, with miners coughing and spluttering, crumbling under the wait of around 80 kilos of sulphur.  Everyone knows that the sulphuric gases can cause serious health problems with a life expectancy of ten years in the crater. 

 



Les forçats du soufre Le Kawah Ijen, le “cratère vert” dans l’est de l’île de Java, en Indonésie, contient un lac de vitriol unique au monde. Dans l’antre du diable, des centaines de porteurs récoltent du soufre au milieu de nuées ardentes. Pour un salaire de misère ils acheminent de lourdes charges de soufre à force d’épaules, sur un parcours abrupt de plusieurs kilomètres. Le volcan tue les hommes à petit feu. Mais l’or jaune servira à raffiner le sucre des usines des environs. Au camp des mineurs, quelques cahutes en bois disséminées dans la brume laissent imaginer un mode de vie précaire. Deux heures avant le lever du soleil, j’arrive au camp des mineurs. A cette heure ci, beaucoup sont déjà partis travailler au fond du cratère, afin d’éviter les grosses chaleurs de la journée. Le sentier qui mène au site s’enfonce parmi de hautes herbes sèches et, après quelques kilomètres, attaque enfin les pentes du volcan. La poussière brune est désormais mouchetée de cailloux jaunes de soufre pur, qui indiquent, mieux que le clair de lune ou la lampe de poche, la route à suivre. Tout à coup, alors que la végétation est devenue luxuriante, un Indonésien haletant apparaît au détour d’un virage, descendant le sentier en trottinant. Il porte sur ses épaules une palanche dont les deux paniers en bambou tressé plient sous le poids de deux énormes blocs jaunes. Le porteur disparaît bientôt, tout aussi promptement qu’il était apparu. Le sentier devient plus raide et glissant. Soudain l’horizon se dégage et, aux premières lueurs du jour, on découvre le cratère au fond duquel stagne une vaste étendue d’eau fumante, d’un vert laiteux aux reflets changeant. C’est le fameux lac d’acide. Les parois du cratère, pourries et décomposées par les vapeurs sulfureuses, plongent verticalement dans le lac. Vision d’apocalypse. Une porte en ferraille isolée au milieu de nul part est traversée par un sentier à peine perceptible marquant l’entrée du terrain d’exploitation des mineurs. C’est au fond de ce trou béant que l’on extrait le soufre. Un porteur casqué jaillit d’une fumée ardente et se dirige lentement vers cette porte de sortie, toussotant, un tissu sur le visage. Il marque un temps d’arrêt, se reprend un instant et repart. Des années de dur labeur semblent lui avoir complètement déformé les épaules. Plus bas, d’autres porteurs entament leurs lentes ascensions, haletants, crispés par l’effort. Les paniers des palanches croulent sous le poids du soufre, entre 70 et 90 kilos. Chacun sait ici que les vapeurs sulfuriques provoquent de graves troubles neurologiques et pulmonaires. Dans le cratère, l’espérance de vie est estimée à dix ans. Ainsi évoluent ces mineurs qui apprécient la visite d’un étranger qui peut être leur fait oublier, le temps d’un instant entre deux nuées ardentes, leurs terribles conditions de travail et leurs solitudes. Pas de retraites pour eux. Pays dur à vivre, athéisme interdit…
Pays : Indonésie
Lieu : Kawa Idjen

Nombre de photos : 40