Michel MONTEAUX
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La culture du lin, dans la Somme, fait entrer en résonance les deux sens du mot culture. Il s’agit d’abord d’une activité agricole liée à un terroir, c’est-à-dire à la combinaison d’une terre et d’un ciel. La météo est le juge de paix – pluie et soleil doivent, au cours des 100 jours du cycle du lin, danser au bon rythme un pas de deux précis – et, pour le meilleur ou pour le pire, lourd de conséquences.
Et ensuite, c’est une affaire d’hommes, d’hommes et de femmes de cette région, mêlant jusqu’au paroxysme modernité et tradition. Le soir, l’agriculteur regarde le soleil se coucher sur la mer et, la nuit tombée, il se penche sur son ordinateur pour suivre en direct les cours des marchés chinois.
Ici, le picard n’a pas été remplacé par le mandarin, mais la langue de Confucius et celle de Shakespeare tissent une surprenante relation entre une nature et deux cultures, entre Occident et Orient, entre la fleur et le fil. De l’agriculture à l’industrie, des rives de la Manche aux rives du Pacifique, entre art et artisanat, une nouvelle voie a été ouverte il y a quelques décennies.
La Route du Lin raconte l’histoire d’une fibre exceptionnelle, originaire du Moyen Orient, et vieille de quelque 36 000 ans, qui, grâce à sa ductilité et son empreinte écologique minimaliste, a occupé avec génie et simplicité une place de choix sur les marchés internationaux. Entre productivité, innovation et développement durable, le lin est désormais bien plus qu’un produit agricole : c’est le marqueur symbolique de l’évolution de terroirs anciens ancrés au cœur du monde globalisé. Ainsi, bien précieux voyageant depuis le tout début de la Route de la Soie dès le II siècle avant J-C. dans les bagages des caravaniers partis de l’antique cité de Changan en Chine, le lin nous invite à un voyage dans le temps et dans l’espace, tout aussi passionnant et surprenant que celui effectué, jadis, par le fil du bombyx.
La Route du Lin sera donc, à sa manière, l’exploration d’une nouvelle forme de mondialisation, après celle initiée par la Route de la Soie. Un voyage au cœur du végétal, du microcosme au macrocosme, mais aussi une aventure humaine, économique et esthétique, entre France et Chine, entre tradition et innovation, à travers la photographie.
Un voyage au plus près de celles et ceux qui font le lin, de la Picardie à la Chine, entre photos et prises de paroles, «l’acuité du regard de Michel Monteaux, qui capte d’une manière pleine d’empathie et sans esbroufe les visages de ceux qui volontiers s’offrent à son objectif […] nous permet de transcender le monde qui est le nôtre. Cela s’appelle la grâce.» (Dan Torres, rédactrice en chef adjoint Libération). Le lin, culture des passionnés par excellence, est ainsi saisi sur le vif.
Lin, un mot décidément bien trop court pour une fibre naturelle à l’histoire si longue et au parcours si exceptionnel.
PORTRAITS :
Vincent Boche
« C’est la culture des passionnés par excellence. Il y a des périodes il faut être chaque jour à la parcelle, prendre des décisions. Tout est plus fort, plus accentué. Un incident climatique, une erreur au semi, dans un traitement, au moment de la récolte, tout prend des proportions beaucoup plus importantes que dans les autres cultures. C’est un cycle très court, chaque erreur on la paye cash. »
Loic Grare
Depuis que je suis tout petit je vis dans cette culture là, c’est naturel. J’adore le lin, le travailler, le toucher, ça me fait chaud en moi. C’est un savoir faire. Je vais avec ma machine au service des agriculteurs. C’est un matériel tellement spécifique.
Avec le gps je peux guider la machine au centimètre prêt. Elle pourrait presque faire tout toute seule. En un siècle on est passé des petites mains, au cheval, puis le tracteur et puis cette machine. On reste là quand même pour assister la machine, la réparer. Et puis c’est du confort. Maintenant avec le tracteur c’est bien aussi, on sent le travail qu’on fait.
Christophe et Simon Traulle
Je fais du lin depuis quelques années. 2001. Ça ne fait pas longtemps. Tous ceux qui font du lin, ils le font depuis des décennies.
Faire du lin c’est plus stressant que le blé. Tout peut se dégrader rapidement. Au début on fait ça pour des raisons économiques, et puis avec le temps on passe de l’idée du rendement à toutes les petites choses… le rythme de changement de la météo, le savoir faire; chaque année, on perfectionne, on veut faire quelque chose de bien, de mieux. C’est presque du luxe.
Francis Coulon
Le lin c’est une culture noble. Il y a la couleur, vous passez dans un champs de lin, le beau vert qui évolue et puis le bleu, ce bleu des fleurs… Une baguette de pain vous la mangez, Elle est faite avec le blé que nous cultivons mais le lin c’est différent, c’est une matière, une présence, et un textile, du papier, un isolant etc. Toute la plante est utile.
Romain Dengraville
On est fière de produire le lin. Je perpétue la tradition familiale. Mon grand père, il faisait ça à la main. C’est un plaisir. Je me marie au mois de Septembre; il y aura des variétés de lin sur chaque table.
CALIRA – Coopérative Linière. Teillage.
Antoine Berthes (Président)
C’est une passion il est dans ma chaine chromosomique. Gamin j’étais pas plus haut que les tiges, je suivais mon grand-père.
Il y a une fierté à découvrir le tissus, comment il prend la couleur, ses nuances particulières. Le lin évoque la tendresse, du vert, du bleu ,du tissus qu’on touche du bout des doigts. Il y a quelque chose d’universel dans cette plante.
Guillaume Tullier (Chargement des conteneurs)
Avant je manipulais le maïs, les betteraves, c’était pas pareil. Ici, les couleurs… il n’y a pas un lot pareil. La betterave ça reste une betterave. Le lin on sent qu’il vit.
Aurélien Patoux (Technicien agent de plaine)
Je travaillais dans une coopérative céréalière en Seine et Marne. Mais le lin m’intéressait. Je ne suis pas issu d’une famille d’agriculteurs. J’accompagne les agriculteurs et les conseille pour améliorer leur savoir-faire. Le lin c’est un ensemble, de la relation avec les acteurs aux aléas de la nature. On a jamais deux années identiques. On a un cru différent à chaque récolte.
Le lin c’est une fierté. Les gens qui voient un champs à côté de chez eux , on dirait qu’ils sont content.
Frank Marquant (Responsable Production)
D’une saison à l’autre, jamais la même récolte. Chaque lot a sa particularité. Chaque champs sa qualité. Chaque agriculteur doit chercher à obtenir une plante aussi fine de la tête au pieds. C’est une belle matière. Au toucher c’est un peu gras, lisse , doux. Il n’y a pas deux lin qui se ressemble.
Jans Vieira (Responsable Étoupes)
Je suis amoureux du lin. Sans le voir, au toucher , je peux vous dire si il est bon ou pas bon. Un lin souple, doux, on sait qu’on va faire quelque chose de beau. Je soumet mon savoir-faire aux autres, je ne suis pas irremplaçable. Les anciens m’ont transmis. Quand je suis arrivé ici à 18 ans, l’ancien directeur m’a formé. Un grand merci à lui. J’ai aussi découvert des choses, et je garde rien pour moi.
Vincent Delaporte (Directeur)
Le lin c’est une passion. On ne sait jamais ce que l’on va avoir quand on le sème. C’est son charme. Le lin c’est de la matière, des hommes , un savoir-faire, un lien fort avec la nature. On fait toujours un lien avec le vin. Ce sont des produits un peu mystérieux. Des produits qui font des grands voyages. On s’imagine le lin semé dans ce champs-là, à côté, il va aller en Chine pour être filé, puis porté par des Japonais, des européens…
En fait on pourrait retracer le trajet parcouru par la récolte ici, dans le monde entier.
Yann Kernagoarec (Camionneur)
Ce que j’aime c’est de travailler dans des milieux naturels. Il y a un côté agréable à venir charger à la campagne. Ils chargent rapidement, en comparaison des attentes parfois dans les usines. L’accueil est chaleureux, familial, efficace. J’ai eu l’occasion de toucher le semi, la fibre aussi, j’ai trouvé cela très noble. J’aime bien être là.
Pavel TOADER (Capitaine de vaisseau)
J’ai grandi avec la mer qui s’étend devant ma fenêtre et le flash du phare sur les murs. Quand j’ai commencé ma carrière les méthodes classiques de navigation étaient d’usage et peu différentes du temps des grandes expéditions mondiales. Essentiel pour trouver la position du navire, le sextant n’était donc pas seulement un instrument exotique et déroutant. Lentement, les satellites ont pris la relève et la navigation astronomique a perdu ses étoiles. Remplacés par des écrans électroniques, les phares s’éteignent. Néanmoins, la navigation est maintenant beaucoup plus sûre et efficace.
Le voyage aventureux a été remplacé par un calendrier très précis, la position des navires étant prévue des années à l’avance. Il y a peu de métiers qui fédèrent des domaines si divers et vous mettent en contact avec tant de cultures au monde que celui de marin. Il ne s’agit pas seulement de géographie, mais aussi de l’astronomie, la trigonométrie, la physique, la cartographie, la météorologie, l’économie, la gestion de équipages pour n’en citer qu’une partie.
Simona BOUHAR (Élève officier de pont)
J’adore voyager. La mer me donne la force, la liberté, des souvenirs sans fin. C’est pour tout cela que j’ai choisi ce métier. Être la seule femme à bord? Personne ne fait la différence.
Ren WEIMING (Président de Kingdom) 70 cm
Le lin est aujourd’hui devenu populaire. L’ouverture du pays m’a permis de m’aventurer en affaires et le lin fut mon premier choix. Il se place dans la continuité de la soie que je connaissais bien. Les deux matières sont liées par l’eau qui leur est essentielle. La Chine, le Japon, l’Inde… représentent 3 milliards de consommateurs de lin. Certes la matière première de bonne qualité reste chère. Mais cette fois-ci c’est l’Europe qui fait la route vers nous.
Chen HUIQUN (Assistante de direction de Kingdom)
La soie symbolise la civilisation orientale. Elle supporte mal de se froisser. Représentant le monde occidental le lin est plus simple à porter. Avec ces deux fibres nous tissons un lien entre nos deux mondes. Certes,nos mentalités diffèrent beaucoup. Mais avec le temps nous aimons le lin pour toutes ses qualités. Son odeur étrange nous surprenait au début, elle est aujourd’hui comme un parfum pour nous. Nous sommes fiers de cette matière.
Zou HUA (Président de JiangSu Huaxin Linen)
En 1972, à l’âge de 18 ans, à la fin des études, j’ai fait mon stage d’entreprise dans une filature désignée par l’État. Comme j‘étais un bon ouvrier on m’a fait étudier pendant trois ans la culture et la transformation du lin. Si j’avais eu le choix? Je n’aurais pas changé de profession. Il faut aimer ce que l’on fait et ne faire que cela, pour bien le faire. Le lin a beaucoup d’avenir. Il est bon pour l’environnement et notre santé. Les gens devraient en porter. Le corps respire bien et on se sent à l’aise. Cela influence nos rapports.
Wang YA QIN (Directrice des ateliers de JiangSu Huaxin Linen)
Une majorité des 400 employées sont de l’ancien temps, elles ont de l’expérience. Chaque année des jeunes diplômés viennent renforcer notre équipe car nous devons automatiser la production et obtenir ainsi de meilleurs tissus. Cela ne va pas dénaturer le lin. Le lin est étrange. Contrairement aux autres fibres qui se constituent d’un fil continu et unique, il a une structure multiple. Chaque fil se compose comme une famille de fibres, comme les cellules dans le sang. Il reste toujours vivant.
Jean-Paul CAO (Négociant/ Import-Export)
C’est par hasard que j’ai rencontré le lin. J’exportais de la soie entre la Chine et l’Europe. En 1995, j’ai rejoint une société qui travaillait avec le lin. Installé à mon compte, aujourd’hui, je suis un des plus anciens acteurs de ce commerce en France comme en Chine. En France les gens aiment le lin pour la plante avant tout. En Chine, le gouvernement soutenait la production de la soie au nord ; les filatures privées se sont installées dans le sud à partir des années 1990. À l’époque, seul l’aspect économique du lin les intéressait. Maintenant ces sociétés fabriquentla majorité desproduits du monde issus de cette fibre et les introduisent sur le marché. La classe moyenne chinoise se familiarise avec le tissu et découvre la plante. Les Chinois commencent à l’aimer. Je ne pourrais pas imaginer travailler avec une autre plante.
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