Avenida de la libertad : le buisness de la sécurité privée en Argentine

Emilie ARFEUIL


This post is also available in: Anglais

Les gardiens en tenue, les caméras de vidéosurveillance, les guérites et les patrouilles motorisées font intégralement partie du paysage de Buenos Aires. Une grande partie des activités quotidiennes des argentins a lieu dans des espaces privés dont l’ordre est assuré par ce type de dispositifs. Des tâches autrefois accomplies par des concierges, des hôtesses d’accueil ou des domestiques sont devenues l’affaire d’agents spécialisés dans la fonction de surveillance. Dans quelques rares cas, il arrive même que ces nouvelles formes de contrôle remplacent les services assurés auparavant par des policiers. Les gardiens sont mis « en vitrine » : on les montre comme une représentation de la sécurité. Cette représentation joue du reste un rôle plus important que celui de réelle surveillance. Au-delà du contrôle de la délinquance et de la protection du patrimoine, les pratiques de sécurisation contribuent à la production de frontières entre les espaces et les groupes sociaux : les dispositifs de protection et de maintien de l’ordre sont en même temps des dispositifs d’exclusion. Pour les habitants des résidences et des quartiers enclos, les services de sécurité privée font partie d’une offre plus générale et systématique de « logement sûr », de plus en plus commercialisé sous cette forme par les agents du marché immobilier, qui permet de jouir de la liberté qu’on voit s’évanouir à l’extérieur de ces « ghettos de luxe ». Le changement des représentations de la ville et de la vie ont des effets morphologiques : l’apparition d’une nouvelle architecture des grands ensembles immobiliers des villes, comprenant désormais une piscine, un solarium et un jardin d’hiver, en même temps que des caméras vidéo, des guérites pour les vigiles et des clôtures tout autour. Pour les couches les plus favorisées, la ville devient un espace hostile et la banlieue apparaît comme un territoire de violence et d’insécurité. On sent que les menaces sont partout. La sécurité privée apparaît comme une solution à ce cadre de vie marqué par la peur et l’incertitude. La répartition des personnes et des choses dans l’espace exprime une inégalité sociale de plus en plus grande. A Buenos Aires comme en Argentine, il y a une ville blanche, formelle, officielle, où l’on vit « comme en Europe », peuplée par la majorité de la vaste immigration italo-espagnole qui a transformé l’Argentine depuis plus d’un siècle. Mais il y a une autre ville, une ville native d‘Amérique du Sud, informelle, officieuse, où l’on vit comme dans d’autres banlieues de n’importe quel pays du Tiers Monde avec ses logements précaires, ses rues en terre battue, sans transports en commun, sans hôpitaux, et ses écoles délabrées. Là aussi, on est issu de l’immigration mais c’est une immigration de « l’intérieur » à la peau foncée, issue des provinces du Nord, de la Bolivie, du Paraguay. Ces deux classes d’habitants de Buenos Aires, tous deux venus d’ailleurs, donnent aux rapports de classe une tonalité ethnique très souvent inégale.

 


Pays : Argentine
Lieu : Buenos Aires

Nombre de photos : 11