IN THE SHADOW OF THE PYRAMIDS


Laura EL-TANTAWY



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On entre dans le livre de Laura El-Tantawy par la petite porte, après avoir avalé la potion aux saveurs amères de l’Histoire. Comme dans un rêve, les images peu lisibles des premières pages deviennent progressivement limpides : on passe graduellement d’un tout petit format à des doubles pages sans bordure qui absorbent le lecteur dans le tourbillon qui a devasté l’Egypte ces dix dernières années.

Dans ce tunnel visuel, on suit le chaos émotionnel qui a agité la photographe à son retour des Etats-Unis, en 2005, sur fond de décadence politique. « Quand j’ai commencé, mon approche était surtout personnelle et réfléchie. J’allais dans la rue pour me réhabituer au pays. », m’expliquait-elle il y a quelques mois dans une interview pour FLTR. « Quand je suis revenue en 2005, il y avait déjà beaucoup de contestation en Egypte. On savait que quelque chose allait arriver mais on ne savait pas quand. Je me suis retrouvée impliquée dans le mouvement politique naturellement. Le travail s’est développé comme cela et la révolution a eu lieu. Il n’y a pas eu de question : je devais être là. C’était historique pour moi en tant qu’égyptienne, » continuait-elle. « Mon idée de l’Egypte a changé après août dernier cependant, et c’est devenu très difficile pour moi. J’ai vu de la violence là-bas d’une façon que je n’avais jamais vu avant et ça m’a fermée. Pendant longtemps quand je prenais des photos en Egypte, c’était basé sur des souvenirs d’enfance. Voir tant d’agression a fait complètement disparaitre la compassion et l’empathie et j’ai compris que le projet était terminé. » In the Shadow of the Pyramids suit cette trame narrative, associant les photographies de Laura El-Tantawy prises entre 2005 et 2014, celles de son enfance – imprimées dans un format réduit qui rappelle celui des médaillons de cou dans lesquels sont contenus les souvenirs –, et des textes personnels. 
« Dans l’Ombre des Pyramides le début rencontre la fin. Ici j’ai choisi d’enterrer mes biens les plus précieux à un endroit que j’appelle chez moi. »

Ainsi se conclut l’ouvrage, suivi de la photographie d’une petite fille flottant sur une balançoire au-dessus d’une pelouse fleurie. Elle a les yeux clos, les cheveux qui volent au vent, et sur sa robe le même cœur qui brillait de ses néons partout dans les rues du Caire avant la Révolution du 25 janvier 2011. Cette petite fille, c’est Laura El-Tantawy. C’est aussi l’Egypte, qui se recharge d’espoir après une période aussi sombre qu’une longue nuit sans lune. Malgré l’obscurité, Laura El-Tantawy déploie le champ émotionnel offert par la couleur. Le rouge domine – celui du feu qui embrasait les rues, du sang qui a coulé, de la passion qui consume la nation. Informel, intrinsèquement poétique, son langage sert le propos documentaire par transcendance. « Quand on partage ce qui est personnel, on atteint les gens ? J’ai vécu longtemps dans la solitude et j’ai réalisé que quand on partage la tristesse ou le traumatisme, cela devient une expérience partagée » , rappelle-t-elle. Publié le jour anniversaire de la Révolution, son ouvrage est le journal intime de tous ceux qui l’ont portée – ceux que, perdus en milieu d’ouvrage dans l’agitation ambiante, Laura El-Tantawy regarde de près, découvrant leurs poings serrés sur les lèvres, leurs larmes rondes, leurs regards sombres et leurs espoirs tremblants.



Editeur : autopublié par Laura EL-TANTAWY
Année de parution : 2015