DAVID 'CHIM' SEYMOUR

SEARCHING ROR THE LIGHT
1911–1956


David SEYMOUR
Auteure : Carole NAGGAR



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« Il utilisait son appareil photo comme un médecin utiliserait un stéthoscope pour diagnostiquer l’état du cœur. Le sien était vulnérable », écrivait Cartier-Bresson à propos de David Seymour, dit « Chim ». David ‘Chim’ Seymour. Searching for the Light. 1911–1956, sa biographie récemment parue, révèle le parcours de l’un des fondateurs de la célèbre agence de presse Magnum Photos.

 

Dawid Szymin est né à Varsovie en 1911, à une époque où la Pologne, qui n’obtiendra qu’une indépendance fragile après la Première Guerre mondiale, risque toujours d’être dépossédée de ses terres par ses voisins – l’Empire russe, le Royaume de Prusse et la monarchie des Habsbourg.

Et en novembre 1956, lorsque Dawid meurt en Égypte, son cercueil est recouvert du drapeau américain, pays dont il est devenu citoyen en 1943 mais qu’il n’a presque jamais photographié.

Entre sa naissance et sa mort, Dawid a traversé une révolution, une guerre civile et deux guerres mondiales. Il perd sa famille durant l’Holocauste, s’installe en Italie, explore la Grèce, tombe amoureux d’Israël, et meurt d’une mort absurde trois jours après la fin des hostilités de Suez. Citoyen du monde – mais resté, malgré tout, européen – David Robert Seymour s’est constamment réinventé, au cours de ses nombreuses vies.

 

Il Professore
A son nom de Dawid, il semble préférer ceux d’animaux de compagnie : Dick, Dik, Didek, dans son enfance et sa jeunesse, Chim, Chimou, Chim-Chim ou Chimsky par la suite, avant de se décider pour Chim.

On lui connaît aussi de très nombreux surnoms : Il est The Unflamboyant pour son collègue Elliott Erwitt, tandis que Trudy Feliu, rédactrice parisienne chez Magnum dans les années 1950 et ses amis romains le baptisent Il Papabile, en raison de sa fascination pour les rituels du catholicisme italien, ou encore Il Professore, pour son allure studieuse. Le journaliste Horace Sutton, quant à lui, écrit qu’ « il évitait toute ostentation comme l’Automat [ancienne machine à délivrer des repas] ».

Né dans une communauté cultivée de langue yiddish et polonaise, Chim demeure attaché à ses racines juives et à ses parents, éditeurs respectés. En 1915, lorsque l’Allemagne envahit la Pologne, la famille de David se réfugie en Russie, ce qui est l’occasion, pour l’enfant, d’apprendre le russe, après le yiddish, l’hébreu et le polonais.

Son périple linguistique se poursuit avec l’allemand, qu’il perfectionne au lycée, puis il s’initie au français à Paris, où il suit les traces de nombreux artistes et écrivains d’Europe de l’Est de sa génération.

En 1939, lorsqu’il débarque à New York, il ne parle pas la langue, mais bientôt, selon les mots de son amie Judy Friedberg, « il ajouta un anglais expressif, quoique d’une grammaire incertaine, au palmarès des langues qu’il maîtrisait ». L’italien suivra, au début des années 1950.

Durant ses voyages et ses exils, Chim restera fidèle à ses intérêts pour la musique, la littérature, le design et la politique qui l’ont façonné, et ses convictions de gauche scelleront ses liens avec les futurs membres de Magnum Photos.

Chim n’a pas un physique avantageux. Il n’est ni grand ni musclé, et son visage, aux traits malgré tout délicats, rappelle un peu celui d’un hibou. L’expression de ses yeux bruns est dissimulée par des lunettes épaisses, et une calvitie précoce a dégarni son front de ses cheveux châtains. Généralement, on le voit une cigarette aux lèvres, ou bien il la tient entre le pouce et l’index.

Discret dans ses manières, il porte des tenues d’une élégance neutre : cravate en soie et costume trois pièces gris, chemise blanche en soie sur mesure, chaussures impeccablement cirées et sac photo noir. S’il lui arrive d’ôter sa veste lors d’une réunion chez Magnum, il ne retrousse jamais ses manches.

On ne le voit guère changer d’apparence ou d’attitude sur les photographies entre les années 1930 et le milieu des années 1950, sinon que ses cheveux commencent à grisonner et son visage à s’empâter, conséquence fatale des dîners conviviaux et gastronomiques qui font sa joie.

 

Le plus énigmatique des fondateurs de Magnum
Cet homme autonome et quelque peu mystérieux a quelque chose du héros d’un film policier : John Morris, un éditeur de longue date de Magnum, lui trouvait une ressemblance avec Peter Lorre. « Seymour était le plus énigmatique des fondateurs de l’agence », écrit-il.

« Pendant des mois, j’ai pensé qu’il était un espion, ce qu’il est devenu d’une certaine manière lorsqu’il a travaillé pour Allied Intelligence à Londres en tant que photo-interprète. » Marc Riboud, qui a rejoint Magnum en 1955, m’a dit la chose suivante: « Il y a des hommes qui, sans être beaux, possèdent une grande beauté. Chim n’était pas beau, mais son visage reflétait son esprit et son évidente intelligence. »

Martha Gellhorn, correspondante de guerre et écrivaine, qui a couvert le conflit espagnol aux côtés d’Ernest Hemingway dont elle est devenue l’épouse, a donné au personnage d’une nouvelle, Lep, les traits de Chim.

Voici comment elle le décrit : « Lep ressemblait à la fois à un hibou, un panda, et une figure de Bouddha, discret jusqu’à en être invisible, un homme qui ne souriait que légèrement et riait rarement, un homme grave, dévoué à des amis graves et très spécialisés, des archéologues, des médecins et des musiciens jouant dans des orchestres philharmoniques, un petit homme doux au front bombé, surmonté de larges lunettes… »

Le collègue de Chim, Jean Marquis, se souvient de lui en ces termes : « Il avait une voix très douce et une certaine élégance dans sa façon de parler. Son regard était très expressif. C’était comme un rire intérieur, sans hostilité. Il n’était pas agressif, mais ses remarques pouvaient être très acerbes. Bob [Capa] accordait beaucoup d’attention à ses remarques et lui demandait souvent son avis. »

Et l’épouse de Marquis, Susie, qui a travaillé pendant plusieurs années au bureau de Magnum à Paris, ajoute : « Il était très ouvert lorsqu’il s’agissait de travail, mais réservé quant à sa vie personnelle. Il n’en dévoilait rien. Il tenait à garder ses distances. »

 

« Il m’a appris à raconter une histoire en images »
Sur le plan professionnel, Chim porte un regard attentif sur le travail de ses collègues et ses propres planches-contacts ; il est, à ce titre, l’une des rares personnes à qui Cartier-Bresson montre sa mise en page et son texte pour Images à la Sauvette (1952). « C’est lui qui m’a appris le montage », se souvient son collègue Jean Marquis.

« Il s’intéressait à la fois à la composition et à l’aspect technique de la photographie. Il m’a appris à raconter une histoire en images. Il me laissait choisir, puis il regardait et faisait des suggestions, mais il n’imposait jamais rien. Contrairement à Henri, ses préoccupations portaient sur la narration plutôt que l’esthétique. Je ne l’ai jamais vu irrité ou en colère. Dans les réunions, il essayait d’être persuasif. Parfois, le ton montait un peu, dans ses discussions avec Bob, quand c’était nécessaire. »

Jamais cruel, toujours attentif, Chim est la voix de la raison dans les discussions de groupe orageuses. Il rit rarement mais sourit souvent et, lorsqu’il est surpris, hausse légèrement les sourcils.

C’est aussi un homme d’affaires avisé qui, en 1955, rédige les statuts de Magnum, toujours en vigueur aujourd’hui. « Après la mort de Capa et Bischof en 1954, il a montré son efficacité en tant qu’administrateur », note Marc Riboud.

Et son collègue Elliott Erwitt ajoute : « Chim a fait beaucoup pour l’agence, d’un point de vue commercial. Henri [Cartier-Bresson] ne comprenait rien à l’argent. Capa n’avait aucun sens des affaires : c’était un bon promoteur et un bon vendeur, mais un administrateur lamentable. »

Sur la personnalité de Chim, ses collègues et amis ont des opinions contradictoires. Distant, renfermé, silencieux, disent certains. Plaintif, même : « S’il vous plaît, ne vous sentez pas négligé », le conjurait sa collègue Maria Eisner.

« Comme le Juif errant, il semblait porter tout le poids du monde sur ses épaules, mais je soupçonne qu’il cachait le plaisir qu’il trouvait dans le travail », dit Jinx Rodger.

Non, rétorquent d’autres, il était chaleureux, souriant, généreux, charmant – et ils soulignent son absence d’ego et sa générosité envers les jeunes photographes, leur suggérant des missions, les aidant financièrement, les invitant à dîner, ou les présentant à des personnes influentes.

Il fait découvrir le gin à sa nièce Helen et l’accompagne chez un tailleur pour la confection de son premier chemisier en soie italienne. Il n’oublie jamais les anniversaires de ses amis, ses collègues, ses neveux et nièces, et se présente les bras chargés de cadeaux, souvent achetés chez FAO Schwarz, le célèbre magasin de jouets de New York.

 

Un homme à tiroirs secrets
Séducteur tranquille (comme le révèlent certaines lettres), frère et oncle bienveillant, homme d’affaires et négociateur redoutable, grand expert en relations publiques, ami des princes et des prélats, secrétaires et barmans : tels sont quelques-uns de ses multiples visages.

Ses petites amies ignorent sa vie personnelle, et ses amis, souvent, ne se connaissent pas les uns les autres. L’un d’eux rapporte un souvenir nostalgique : « Quand je suis venu annoncer sa mort à son ami Dave Schoenbrun, il m’a dit, dans la conversation qui a suivi : ‘Vous et moi nous connaissons très peu. Et pourtant, Chim était un ami commun. C’était un homme à tiroirs secrets, et il a oublié de les faire communiquer.’ »

Chim est résolument un excentrique. Collectionneur d’amis, il en a dans les milieux les plus variés, et grâce à eux ou aux nombreux livres qu’il lit, il aime à acquérir des connaissances singulières dans toutes sortes de domaines, dont il émaille inopinément les conversations.

« On ne savait jamais ce qu’il nous réservait – quelque chose à propos du strip-tease, ou l’histoire de l’ordre franciscain », se souvient son ami et collègue Burt Glinn. Connaisseur de vin, il ne boit pas pour se saouler mais pour apprécier les différentes saveurs des vins, comme s’il lisait des livres.

Gourmet, il aime découvrir des restaurants secrets pour y déguster des plats étranges tels que l’ortolan, minuscule oiseau farci, macéré dans le cognac et que l’on mange tout entier, y compris les os. Mais dans des conditions de vie difficiles, telles que celles de la guerre civile espagnole, il se contente de repas très simples avec ses camarades, composés de haricots ou de lentilles, de pain rassis et de sardines, et arrosés d’un vin rouge bon marché.

Doué de qualités sociales, il peut aisément entrer dans n’importe quel rôle et tisser des liens, que ce soit avec les enfants des rues, les militants communistes, les combattants de la guerre civile espagnole, les prêtres du Vatican, les artistes de renommée mondiale, les stars hollywoodiennes, les habitants des kibboutz ou encore les civils égyptiens. Glissant sans heurts d’un pays à un autre, d’un milieu à un autre, il semble, comme un chat, avoir neuf vies à vivre.

 

« Capa était un copain, mais Chim était un ami »
Qu’ils soient vieux ou jeunes, pauvres ou célèbres, ses collègues ou des étrangers, tous ceux qui l’approchent l’aiment. À chacun, il ne révèle qu’un fragment de lui-même, mais avec une telle chaleur, une telle gentillesse que l’on se sent, un instant, son meilleur, son plus proche ami. Comme Cartier-Bresson me l’a dit un jour : « Capa était un copain, mais Chim était un ami. »

Bill Pepper, rédacteur en chef de Newsweek à Rome, fournit de lui une description magnifiquement nuancée : « Chim nous a été un lever de soleil inattendu, qui est entré et sorti de nos vies. Ses propres sentiments enrichissaient notre intériorité. Il était vraiment une sorte de voix intérieure dans nos vies, c’est étrange. Cela fait écho à son affinité avec les enfants dans sa photographie. Nous avons tous un enfant en nous, un résidu d’émerveillement qui ne s’éteint jamais, et c’était à cette part de nous qu’il parlait. »

Correspondant de paix mort à la guerre, Chim était, derrière son sourire, un homme hanté par l’Holocauste des Juifs d’Europe, qui avait coûté la vie à presque toute sa famille. Et si parfois il s’isolait avec une pile de lettres auxquelles il n’avait pas répondu, laissant sonner le téléphone, c’était peut-être parce qu’il était submergé par la tristesse, comme par une grande vague qui ne se retirerait jamais.



Editeur : De Gruyter Oldenbourg
Année de parution : 2022
Nombre de pages : 180
Langue : Anglais
ISBN 10 : 3110704161
ISBN 13 : 9783110704167