UN, RETOURNEMENT DES MORTS


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Madagascar – 2008

Le rituel mortuaire du Famadihana (littéralement « retournement des morts »), que pratiquent les habitants des hautes terres malgaches, est connu du grand public, et caractérisé comme un moment festif. Pourtant, le vivre amène à ressentir et à percevoir un flot d’énergies et d’émotions qui ne se réduisent pas à la joie. Il y a certes de la musique, du désordre et beaucoup d’alcool, mais les attitudes montrent une grande profondeur d’âmes, et un recentrement familial très fort. Est-ce qu’on retrouve ici un peu des caractéristiques du peuple malgache : une grande pudeur mais une énergie puissante dans le lien aux autres et à la terre ?
A l’époque, je n’ai pas l’audace de poser des questions, je n’aurai donc que quelques commentaires et des images pour témoigner.
Le « retournement des morts », au village où je me trouve cet été 2008, est observé environ tous les cinq ans. Cette cérémonie vise à rendre hommage aux ancêtres qu’on vénère dans la mesure où ils représentent un lien dans la vie et dans l’au-delà. A cause de son coup financier important me dit-on, le Famadihana devient plus rare aujourd’hui.
Les ancêtres doivent surplomber les habitations. Ils sont donc juchés à quelques kilomètres du village, au sommet d’une colline, tous exhumés dans le même caveau.

Durant les quatre repas successifs de lard et de pommes de terre, nous ne parlons pas du sens spirituel de la cérémonie. Rien ne présage de ce qui va se passer bientôt. Les discussions tournent simplement autour des nouvelles pour des membres d’une famille qui se retrouvent rarement. Puis c’est parti, nous nous mettons en marche. La côte est rude, mais les sourires sont toujours présents. Lorsqu’on arrive sur le lieu du Famadihana, c’est d’abord l’affluence qui impressionne. Je perds rapidement la famille avec laquelle je suis et je me trouve plongée dans la foule compacte d’hommes, de femmes et d’enfants, réunie tout autour du tombeau. La musique m’appelle et je commence à sentir un air de fête. Cependant les visages ne sont pas complètement ouverts, ils se tournent souvent dans la même direction: le caveau. Les traits sont changeants : on lit sur les figures, petit à petit, l’attente, voire l’inquiétude. Les enfants sont excités. Après un discours du maire, les morts sont sortis de leur demeure, passés au-dessus des têtes par des mains d’hommes avant d’être déposés au sol. Leurs parents les entourent. Plus de cinquante groupes familiaux se forment ainsi ici et là. Si l’attente des morts était festive, la présence du corps mène au recueillement. Comme le fait ma famille accompagnatrice, une fois les morts et les vivants réunis, quelques rituels sont exécutés : de nouveaux draps viennent entourer les dépouilles dissimulées dans leurs linceuls, on projette des gouttes de rhum pour bénir les aïeux, on place certains objets entre les draps. Je quitte mes hôtes un moment pour essayer de ressentir d’autres expériences. Au milieu de l’activité, je capte quelques regards, profonds, mais aussi, exceptionnellement, des pleurs et des cris, ceux d’une veuve bientôt mise à l’écart pour mieux respirer. Dans la foule, des danses continuent.

Bientôt, je redescendrai avec mes amis qui ont terminé leur procession. En cette fin d’après-midi, le soleil est toujours puissant. De loin, à regarder la scène, on pourrait croire à un grand pique-nique s’il n’y avait aussi visible cette grande croix blanche juchée sur le caveau.

Légendes :

1. Au village. Début d’après-midi.
2. Nous grimpons la côte vers le lieu de cérémonie.
3. Le maire va faire un discours.
4. Des femmes attendent.
5. Certains dansent.
6. Les visages tournés vers le caveau témoignent parfois de la profondeur du Famadihana.
7. Le visage inquiet, la jeune fille semble attendre l’ouverture du caveau.
8. Des enfants se réunissent autour des musiciens. Les jeunes vont bientôt se déplacer pour tenter de  voir la porte du tombeau s’ouvrir.
9. La porte s’est ouverte. Quelques spectateurs, surtout des enfants, se sont approchés. Les responsables ont évacué la foule autour de l’entrée.
10. On sort parfois des cercueils de bois, d’autres fois les corps simplement glissés dans leur linceul.
11. Mes hôtes attendent la sortie de leurs défunts dans une ambiance de recueillement.
12. Les morts de la famille sont enfin tous réunis.
13. Rituel du rhum.
14. Une autre famille exécute ses propres rituels.
15. Dans un autre groupe, un homme se recueille silencieusement au pied des corps.
16. La femme et son feu petit-fils.
17. Mère et fille au pied du corps du défunt.
18. La mère, éloignée à l’air libre.
19. Des danses reprennent.
20. C’est sur le sommet de cette colline que s’est déroulé le Retournement des morts.

Photographies FAVERGER Christine