TERRES POUR VIVRE


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Argentine

Habiter malgré tout, construire seuls mais ensemble. La nuit, les otages d’un système économique et urbain se lancent à la conquête de terrains vides de constructions, en l’espace de quelques heures. Des parcelles commencent à apparaitre, des tentes à pousser, qui en quelques jours prendront des airs d’un chez soi en transition et d’un quartier dont on osait plus rêver. S’organiser, résister face aux expulsions et à la répression, négocier avec des pouvoirs publics souvent absents, revendiquer simplement son droit à pouvoir habiter quelque part et à payer un loyer, comme les autres.

Cette histoire d’habiter se déroule à Buenos Aires, de son dense centre à ses périphéries, où le droit au logement, droit fondamental, est mis à mal par la spéculation immobilière, la précarité du travail mêlé parfois à un manque de volonté politique.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Dans la capitale intra-muros on compte 225.016* logements vacants, 500.000** personnes en situation d’urgence « habitationnelle » sans compter les 275.000** individus vivant dans des bidonvilles.
La situation dans la banlieue n’est guère meilleure bien que la place pour construire ne manque pas. Avec environ 35% de la population en situation de travail précaire ou illégal, obtenir un contrat de location ou un crédit pour l’achat d’un terrain est presque mission impossible. Un problème qui touche aussi bien les argentins que les populations issues des pays limitrophes venues pour chercher un travail et une meilleure situation. Alors que les projets spéculatifs comme les gated-communities (quartiers fermés) fleurissent, la pression populaire et son mal d’habiter gronde, poussant ces travailleurs sans toit à occuper des terrains souvent laissés sans affectation par les propriétaires à des fins spéculatives. En effet, plus la ville avance, plus les terrains pourront intéresser des investisseurs à un prix plus avantageux pour les propriétaires.

Entre pression immobilière et pression populaire, la capitale latino-américaine se développe ainsi à vitesse grand V et nous propose de nouveaux modes d’action et de résistances. Des modes de faire et de créer la ville qui reviennent aujourd’hui sur nos territoires européens, à une échelle toujours plus importante. Rattrapes par de nouvelles précarités, il ne nous reste alors qu’à inventer et s’inspirer des futurs possibles imaginés à mille lieux d’ici..

* Chiffre d’après le recensement national de 2010
** Chiffres d’après l’agence nationale Telam
Légendes :
01- L’instant décisif. La nuit est le moment propice pour partir à la conquête d’un terrain inocupé,capable d’accueillir cette nouvelle vie.

02- Une famille arrivée tardivement, tente de repérer une parcelle de terrain encore vide.

03- Très vite, il faut dessiner les limites, marquer son territoire. Une ligne fragile, qui annonce le début d’un chez soi.

04- Une ligne encore franchissable et maleáble cependant.

05- Les débuts prennent des airs de camping. Un camping où cependant les adultes partent au travail le matin, les enfants à l’école, où la guitare au coin du feu est remplacée souvent par des objets nécessaires au quotidien

06- La nuit,le feu devient le point de repère et le point de raliement, entre nouveaux voisins.

07- Petit à petit, des traces d’un quotidien apparaissent. Ici le matelas.

08- Le toit, l’un des éléments à la fois fondamental mais aussi symbolique de cette lutte. Ainsi nait un premier chez soi, précaire tout d’abord puis petit à petit, perenne. C’est aussi le début d’une intimité retrouvée.

09- Une cuisine réalisée dans une construction en matériaux récupérés, à l’heure du maté.

10- Un droit à l’intimité et au chez soi qu’il faut revendiquer, sans cesse, dans la rue. Ici un campement devant une Mairie, pour revendiquer le droit à la terre pour tous.

11- Au quotidien, il faut aussi convaincre les voisins, d’agir ensemble pour être plus fort. Ici, l’équipe d’un centre social improvisé fait le tour du quartier en devenir pour rassembler les habitants

12- Ces moments de décisions collectives sont essentiels pour l’avenir d’un quartier en devenir. Faire front commun face à une possible expulsion est impératif.

13- Malgré tout, de nombreuses occupations n’auront en effet jamais le temps de devenir de nouveaux quartiers et seront délogées violemment.

14- Pendant que l’on détruit quelque part, d’autres construisent, aménagement la ville de leurs mains, ailleurs. Ici, une femme de la Corriente Villera Independiente participe à la création de trotoirs, journée de travail organisé par les voisins.

15- Résister aussi face à l’Etat souvent absent de ces problématiques. Ici des habitants ont occupé une structure béton, issue d’un projet de logement social public abandonné en cours de construction.

16- Composer, réinventer, créer. Les mains populaires sont les premières batisseuses des nébuleuses urbaines argentines de demain.

Photographies Anita POUCHARD SERRA
2014 - 2015