LE CRÉPUSCULE DES MANIQUES


This post is also available in: Anglais

Dans la jungle montagneuse du sud de la Thaïlande, survit l’une des dernières tribus de nomades chasseurs cueilleurs de la planète. Menacé par la déforestation et l’extension des plantations d’hévéa, leur territoire se rétrécie de jour en jour jusqu’à menacer leur existence. Ils sont moins de 300 aujourd’hui, combien en restera t’il demain ?

Ils ont le regard vide et résigné des sacrifiés de l’évolution. Présents dans cette région du sud Thaïlande depuis la nuit des temps, bien avant que ne soient dessinée la frontière avec la Malaisie. Réfugiés dans les forêts tropicales quasi inaccessibles de la région de Trang, Phattalung et Satun. Les Maniques sont l’une des dernières tribus nomades chasseurs cueilleurs du monde.

Peu connus des ethnologues et anthropologues, leur origine reste un mystère. Carnation noire, cheveux crépus. Des caractéristiques physiques les rapprochent des africains, mais également des Mélanésiens et même des aborigènes d’Australie. Les Malais les traitent péjorativement de « Sakai » ou hommes sauvages. Animistes et pacifiques, Il n’en reste plus aujourd’hui qu’une poignée. Entre 200 et 300 répartis par petits groupes de 15 à 20 personnes.

Grâce à l’aide précieuse d’un ami Thaï qui leur apporte de temps en temps œufs et vêtements et après plusieurs heures de piste et de marche, j’ai pu rencontrer un petit groupe de ces « forest people » cachés dans la jungle de Phattalung. Ni agressifs, ni même curieux, ces hommes timides et bienveillants qui ont toujours vécus en symbiose avec la nature sont aujourd’hui confrontés à une crise majeure de survie. Leur environnement végétal se rétrécie de jour en jour à cause de la déforestation et des plantations d’hévéa souvent illégales. Manque de protéines liée à la pénurie de viande d’animaux sauvages et à la raréfaction de leur base alimentaire en tubercules. Ils souffrent désormais de malnutrition. Alors, si certains tentent de se diluer dans la population Thaï pour servir de main d’œuvre servile dans les plantations, les irréductibles s’enfoncent encore plus profond au cœur de la jungle pour se cacher du monde.

Ultime paradoxe, ces derniers chasseurs ont interdiction de chasser sur leur territoire ancestral depuis qu’une loi Thaïlandaise de 1975 l’a décrété « sanctuaire de préservation de la vie sauvage ». Une loi difficilement applicable, mais qui fragilise encore plus la survie de ces hommes plantes héritiers d’une science botanique empirique inestimable.

Refusant la guerre, ils ont toujours choisi la fuite. Mais pour aller où ?

Photographies BERTHREU Patrick
2015