ÉXILES

RENCONTRE AVEC DES JEUNES EXILÉS AFGHANS À PARIS


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Les photographies de la série ‘Éxiles’ ont été réalisées entre octobre 2013 et mars 2014. Elles documentent ma rencontre avec un groupe de jeunes migrants Afghans vivant à Paris. Cette rencontre s’est faite par hasard, en voulant retrouver la trace de deux jeunes gens que j’avais photographiées en reportage au CASO (Centre d’Accueil et de SOins, de Médecins du Monde à Paris) et qui m’avaient fait partager leur expérience de l’exil. En me rendant sur les lieux où j’étais susceptible de les retrouver et en amorçant la conversation avec les personnes que j’y ai rencontrées, j’ai peu à peu établi quelques contacts et pu faire se lever le voile sur un univers qui, du moins en partie, forme le revers du tissu social parisien. La société française est diverse et complexe. Les plans, les groupes humains s’y superposent et s’y entremêlent comme autant de dimensions dans l’espace qu’elle constitue. Pourtant ces dimensions peuvent demeurer imperméables les unes aux autres, particulièrement aux marges. Par conséquent la dépression, le découragement, la défiance envers l’autre, l’instinct de survie, l’impression de dénuement social et moral et le sentiment d’insécurité, voire de persécution, font partie intégrante de l’expérience de l’exilé, dont l’existence à l’intérieur de l’espace de la société ne tient bien souvent qu’à la simple réalité d’une présence physique.
Ce projet, tel qu’il est présenté ici, ne consiste en fait pas vraiment en une démarche de documentation de l’expérience de l’exil telle qu’elle est vécue au quotidien par les personnes que j’ai photographiées. Il s’agît plutôt d’une captation photographique des quelques traces générées à ces points de rencontre entre leur univers et le mien, là où a pu naître un espace privilégié et inattendu. Pour cela, au lieu de mettre l’accent sur des difficultés déjà bien documentées, j’ai souhaité orienter mon regard vers ce qui me semblait le plus remarquable chez les jeunes gens que j’ai eu la chance de connaître au fur et à mesure que je découvrais leur univers : le courage d’affronter la solitude et le dénuement, la force de vie et de résilience, l’énergie de toujours maintenir l’espoir en éveil.

Raphaël Lucas


LÉGENDES :

01_ « Ouzbèque », 24 ans, arrivé en France à l’âge de 14 ans.

02_ Malgré le manque de repères et des difficultés à se situer dans la société, il voudrait devenir journaliste.

03_ La précarité et le rejet d’une certaine identification à la marginalité rendent la solidarité assez rares entre éxilés.

04_ Sous la pluie en fin de journée dans les environs de la gare de l’Est, lieu de regroupement traditionnel de la communauté.

05_ La capacité de résilience et l’envie de se reconstruire sont des facteurs clés pour soutenir les difficultés liées à l’éxil.

06_ Le manque de reconnaissance de la part de la société, et bien souvent l’absence toute simple de statut légal, sont des difficultés majeures à surmonter au moment de se reconstruire. Des liens se tissent tout de même souvent et les amitiés qui en naissent apportent un grand soutien à ceux qui doivent traverser les épreuves de l’exil.

07_ Mohammed est venu consulté aux urgences de l’hôpital Saint-Louis, car il n’arrive pas à soigner une angine.

08_ Naïm, 23 ans.

09_ Saïf et Naïm sont sans-abri et dorment dans un parc. Mais l’entraide et la confiance est forte entre eux.

10_ L’accés aux soins et à des services sociaux cohérents sont des éléments essentiels qui permettent une première insertion dans la société, bien qu’ils n’offrent qu’un support ponctuel.

11_ En dehors des circuits d’aides sociales ‘institutionnels’, la survie s’oganise autour de circuits parallèles. Certains de ces circuits s’articulent avec l’économie souterraine. D’autres, organisés par des Afghans déjà installés, fonctionnent parfois au détriment des migrants eux même, qui peuvent être victimes d’escroqueries ou d’extorsions diverses par leur propre compatriotes.

12_ Les médias s’intéressent assez rarement au cas particulier des migrants Afghans en France, au delà des clichés habituels. Par conséquent, le sujet demeure relativement transparent aux yeux du grand public. De plus, bien souvent toutes les identités des exilés et demandeurs d’asile se retrouvent confondues en une seule par les médias : celle du migrant, du sans-papier, sans domicile, dépendant, désespéré, celui qu’on voit dans la rue, en passant. Pourtant, la diversité culturelle et la richesse des expériences de ceux qui arrivent en France représentent, un apport essentiel et une véritable source d’inspiration pour une société française en plein questionnement identitaire.

13_ Lokman joue au basket avec un gamin dans les environs de Stalingrad. Le sport est un vecteur essentiel de lien social et d’échange, tant à l’intérieur même de la communauté qu’avec les autres membres de la société.

14_ Lokman est déjà célèbre en quelque sorte : il était au centre du documentaire réalisé par Claire Billet et Olivier Jobard diffusé sur M6 en novembre 2013, sur le voyage depuis l’Afghanistan à Paris. Il vit aujourd’hui comme d’autres nouveaux arrivants, dans la précarité et l’attente de l’avancement des procédures légales vers l’obtention du statut de réfugié, ce qui peut durer plusieurs mois voire plusieurs années.

15_ Ahmad

16_ Sifat, 21 ans, toujours mi-joueur / mi-sérieux, a un fort caractère et une certaine franchise dans sa parole. Il se heurte souvent à des difficultés avec les services sociaux car il ne tolère pas la condescendance à son égard.

17_ Une des difficultés à identifier la communauté dans le tissu social parisien pourrait tenir aux spécificités de la culture Afghane. La nature composite de son identité, faite des différentes ethnies qui forment le pays (Pachtounes, Farsis, Ouzbèques, Tadjiques, Azaras, etc) semble être un tissu assez fragile, sur lequel l’esprit de clan tend à prendre le dessus sur l’esprit d’ouverture, même vers la culture du pays dans lequel ils se trouvent.

18_ L’avenir reste incertain pour Mohammed qui, malgré plusieurs tentatives, n’arrive pas à faire valoir ses droits au statut de réfugié. La capacité à communiquer selon les attentes des instances qui arbitrent le droit à l’asile est un facteur clé de l’obtention du statut.

19_ Peut-être l’aspect le plus dur de l’expérience de l’exil : l’impression de voir sa vie mise en attente, comme coupée du mouvement général de la société.

20_ Nouveaux arrivants prenant le soleil dans les environs de la gare de l’Est. Protéger son identité et son histoire est un souci constant pour de nombreux exilés car cela peutêtre un facteur déterminant pour pouvoir reconstruire sa vie dans le pays d’accueil.

Photographies LUCAS Raphaël