LE PARI GAGNANT DES ÉLEVEURS DE YACKS DE L'ARKHANGAÏ


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Mongolie 2018

Faits : Le début des années 2000 a été marqué par une série de catastrophes climatiques : hivers très rudes et étés très secs qui à l’époque réduisirent considérablement le nombre de têtes de bétail. Mais depuis lors, en moins d’une décennie, les troupeaux se sont multipliés et atteignent des sommets historiques. L’économie planifiée de type soviétique a créé un marché à l’échelle de l’URSS pour la viande mongole, ce qui permettait de réformer par abattage une proportion conséquente du bétail. Depuis 1991, ce débouché n’existe pratiquement plus (90% de diminution en volume). L’autre raison est l’ouverture des frontières et l’explosion du marché à l’export (vers la Chine et l’Occident) de la laine cachemire qui pousse les éleveurs à accroître la proportion de chèvres (Capra aegagrus hircus) dans leur troupeau (jusqu’à 80% du cheptel total). Cette “monoculture” massive et le mode de broutage de la chèvre (arrachage des plantes et herbes, à l’inverse du mouton par exemple) sont en train de pousser les écosystèmes mongols dans leurs derniers retranchements.

Mon travail : Avec entre 10 000 et 20 000 nomades, qui chaque année migrent de la campagne vers la capitale, l’économie et la survie des nomades sont de plus en plus instables. En 2010, afin de soutenir les éleveurs, un mongole, Bayarma-gnai, a ouvert la coopérative CAAD (Ar Arvidjin Delgerekh), soutenue par Vétérinaires Sans Frontières. La coopérative et VSF accompagnent ensemble les éleveurs dans leur quotidien à développer l’élevage de yak, aussi bien pour son lait que pour sa laine. Nygmdorj et sa femme Erdenetsetseg, ainsi que Galbadrakh et Terbish, Budzagchaa et Dorjkhand, sont trois couples d’éleveurs qui ont intégré la coopérative en 2010. Ils sont aujourd’hui plus sereins grâce à un chiffre continuellement en hausse sur la vente de fibres de yak (son prix au kg est passé de 1 500 MNT (0,50 €) à 22 000 MNT (7,80 €) en quelques années). Depuis leur adhésion à la CAAD, les nomades travaillent plus et se sentent désormais moins isolés. J’ai suivi ces trois familles dans leur région respective afin de saisir leur quotidien rudimentaire. La CAAD est parfaitement organisée; depuis son siège dans la ville de Tsertserleg, son petit camion parcourt la steppe afin de récupérer la récolte des fibres de Yaks (chaque année fin mai). Le camion sert également au transport des animaux ou de bois lors des transactions entre éleveurs. La coopérative, qui a mis en place une totale traçabilité depuis l’éleveur jusqu’au client final en Europe, recense aujourd’hui près de 800 familles adhérentes. Elle a été élue par le Ministère de l’Agriculture Mongole, meilleure coopérative en 2017 pour son efficacité, son commerce équitable ainsi que ses conseils vétérinaires apportés aux éleveurs.

Merci à Vétérinaire sans frontières et à la coopérative Ar Arvidjin Delgerekh, qui m’ont permis de rester avec ces familles. Je ne souhaitais pas documenter toute la chaîne de développement mais de comprendre par la photographie le quotidien de ces familles, mais aussi leur rythmes, leurs forces, leurs faiblesses, leurs joies. L’association de ces deux acteurs et des éleveurs de l’Arkhangaï est exemplaire pour la survie des peuples nomades par le développement intelligent de leur travail respectifs.

Solution de la coopérative Arkhangaï : Leur projet est de créer une structure mongole capable d’offrir une réponse efficace, durable et équitable aux défis énoncés en introduction. En créant des débouchés à l’export pour les laines de yak et chameau et en réduisant les intermédiaires à travers une filière équitable, il s’agit d’offrir aux éleveurs une possibilité de diversifier et d’augmenter leurs revenus, les rendant moins vulnérables à la chute progressive des cours du cachemire. Cette diversification de l’élevage représente aussi une réponse de terrain à la crise de sur-pâturage actuelle (yak et chameau n’arrachent pas les plantes et habitent des étages écologiques différents) en recréant un équilibre des espèces et en permettant la valorisation de nouvelles zones pastorales. De surcroît, les conséquences dramatiques d’un dzud (difficultés climatiques) seront à terme réduites (ces deux espèces sont physiologiquement plus résistantes aux aléas climatiques et une diversification accrue de l’élevage soulagera les pâtures dédiées aux caprins et ovins). Enfin, ce projet se veut profitable de manière bilatérale en offrant un soutien aux entreprises européennes de la filière laine. En effet, ils choisissent délibérément de ne pas réaliser l’ensemble du processus de transformation des fibres en Mongolie, laissant ainsi une option de diversification des matières premières aux acteurs de la filière laine européenne, leur permettant aussi de travailler un produit issu du commerce équitable.

Conclusion : Avec 66 millions de bêtes domestiques, les nomades souhaitent avant tout conserver leurs raisons économiques et culturelles de vivre. La protection de l’environnement est devenue une raison récente pour la bataille de leur survie. La vie extrêmement précaire, parfois moyenâgeuse des éleveurs de l’Arkhangai est un véritable défi pour les coopératives de Mongolie. Malgré la menace de l’accélération du changement climatique et ses conséquences dramatiques sur les pâturages et, consécutivement sur la santé des animaux, les éleveurs, avec le soutien des experts de VSF et de la coopérative devraient entrevoir un peu d’espoir, pour ceux qui ne prendront pas la route d’Ulan Bator.

Didier Bizet

Photographies BIZET Didier
2018 - 2018