VENEZUELA, THE WELLS RUN DRY

Prix Carmignac du photojournalisme 12e édition #PrixCarmignacVenezuela


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L’exposition Venezuela, The Wells Run Dry de Fabiola Ferrero, lauréate de la 12e édition du Prix Carmignac du photojournalisme, explore la disparition de la classe moyenne vénézuélienne. Démocratie riche et prospère dans les années 1960/1970, le Venezuela peine aujourd’hui à s’extirper d’une crise politique et économique profonde marquée par la chute du cours du pétrole, une corruption endémique et une hyperinflation. Sept années consécutives d’effondrement économique et de crise politique ont creusé le fossé des inégalités et détruit la classe moyenne. La photographe vénézuélienne a entrepris de documenter des années de richesse qui n’existent plus que dans les mémoires. Elle s’est rendue dans des lieux qui étaient autrefois des symboles de prospérité, à la recherche des vestiges d’une réussite économique disparue. Son reportage l’a menée à travers tout le pays, photographiant les industries du pétrole et du sel en déclin et les communautés qui en dépendent, les universités pillées et abandonnées, et les dernières traces laissées par les Vénézuéliens qui ont décidé de quitter le pays pour un avenir meilleur. Mêlant images d’archives, vidéos et photographies, Ferrero chronique le ralentissement économique de son pays et les conséquences pour sa population.
Elle compare son projet à la tentative de photographier un lac avant qu’il ne devienne un désert. « S’il y a un moment pour documenter et laisser une trace de la mémoire de ce que nous étions, c’est maintenant ».

 

« Plus de six millions de Vénézuéliens ont quitté leur patrie. Mes parents, mes frères, mes plus proches amis, moi-même. Un par un, nous sommes tous partis. J’ai vu mon pays en devenir un autre et mes souvenirs se brouiller, comme si je me regardais enfant à travers une vitre embuée.
Je suis revenue en 2022, deux ans après avoir émigré, et quand je me suis vue au milieu de ce délabrement, j’ai cherché refuge dans les souvenirs — les miens et ceux des autres. Dans ce reportage, je me mets en quête des vestiges du pays pétrolier prospère dans lequel j’ai grandi. De la mémoire d’un temps d’avant l’effondrement. Il y a dix ans, juste après la mort d’Hugo Chávez, le Venezuela jouissait encore d’une fenêtre d’opportunités : la majorité de sa population était en âge de travailler, le baril de pétrole dépassait 100 $ et les investissements étrangers coulaient à flots. Deux ans plus tard, le prix du pétrole s’est effondré, la violence politique s’est installée et des vagues de jeunes émigrants, la plupart entre 15 et 34 ans, ont traversé les frontières pour rejoindre d’autres pays. Une fuite collective vers l’ailleurs qui n’a jamais cessé. Depuis 2014, la population du Venezuela s’est réduite de près d’un cinquième, selon le Haut-Commissariat général des Nations unies pour les réfugiés. Tous ces migrants ont rejoint la Colombie, le Pérou, les États-Unis, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, l’Argentine, l’Équateur et le reste du monde. J’ai moi-même atterri dans la très dense ville de Bogota, nouveau foyer pour 370 000 Vénézuéliens. Le Venezuela est aussi devenu plus vieux et plus pauvre. Sept années consécutives d’effondrement économique et de crise politique ont produit une dévastation comparable à celle de pays exposés à des conflits armés : 94 % des Vénézuéliens vivent dorénavant sous le seuil de pauvreté, la classe moyenne a presque totalement disparu et le fossé des inégalités s’est encore creusé. Hier exportatrice majeure d’énergie, ma patrie vit désormais essentiellement d’importations et de transferts de fonds. Nous, Vénézuéliens, semblons communier ensemble dans le deuil de notre ancienne normalité. Mais notre mémoire n’est pas nécessairement fidèle et ce concert de voix porte aussi les fantasmes d’un passé prétendument protecteur et d’une normalité censément salutaire. À y regarder de plus près, nous pouvons aussi trouver dans ce passé les clefs du Venezuela contradictoire et stratifié que nous connaissons aujourd’hui. L’illusion que nous avons bâtie sur le pétrole s’est évaporée si rapidement que j’ai l’impression de photographier un lac juste avant qu’il ne devienne un désert. »
Fabiola Ferrero

[…] Aux pires heures, lorsque je m’immergeais dans une mer calme, blanche et gelée, j’ai tiré quelques conclusions que j’ai ensuite minimisées : il existerait une force d’autodestruction au Venezuela, le pays a voulu se désintégrer, peut-être pour tout reprendre à zéro. La société elle-même a convoqué son bourreau et lui a confié une masse pour faire voler en éclat toute construction et toute pensée.
Avais-je raison ou raison en partie ? Je ne m’en soucie plus. Les sociétés d’études de marché qui mènent des enquêtes dans le pays se sont heurtées à une certitude : les Vénézuéliens veulent la normalité. Former un couple, fonder une famille et lui assurer logement et sécurité, scolariser ses enfants et les emmener à la plage le samedi. Beaucoup de ceux qui, confrontés à d’innombrables périls, ont quitté le pays, l’ont fait dans la conviction qu’ils n’y trouveraient jamais la normalité. Cette normalité-là. Parce qu’au Venezuela le manque de liberté ne consiste pas à être emprisonné (bien sûr, il y a des centaines de prisonniers politiques), mais à affronter chaque jour, à chaque instant, un pouvoir omniprésent, et plus fort que vous, qui contrôle votre liberté de vous déplacer, de choisir, d’évoluer selon vos capacités et même de manger ce que vous voulez. Le régime est toujours là à vous surveiller, à vous demander ce que vous allez faire, pourquoi vous êtes là, où vous allez, ce que vous avez dans votre sac, quels messages vous avez sur votre téléphone portable ; à dévaluer votre salaire, les services publics, les lois ; à faire tomber des murs, à parrainer le saccage de la propriété privée et des universités, entre autres institutions ; à organiser le pillage, à livrer le patrimoine de la république à la rapine… comme si la jungle du désastre engloutissait tout ce qui a été construit. Quoi qu’il en soit, je suis Vénézuélienne et je veux la normalité. « Dans la cabane la plus délabrée, il y a une lumière qui nous guide sur le bon chemin », a déclaré l’écrivaine Élisa Lerner, qui a reçu divers hommages à Caracas pour ses 90 ans. Cette lumière, l’artiste visuelle Fabiola Ferrero l’a captée dans ce livre qui contient deux grandes familles d’images : certaines d’archives, un répertoire amateur de photos dénichées dans des tiroirs et des albums de famille, remarquables parce qu’elles sont la trace de la normalité d’autrefois, quand la famille était réunie et la diaspora une option étrangère à notre nationalité. Il ne faut pas voir dans ce dossier réalisé par des mains inexpertes une nostalgie du passé, mais plutôt les cailloux qui jalonnent le chemin de l’avenir : une cartographie de l’espoir. Cela a vraiment existé, ce n’était pas un rêve et tout peut revenir si nous savons recoller les morceaux.
L’autre famille d’images est constituée de photographies professionnelles, impeccablement composées, belles dans leur violence, agencées avec une intention narrative. Toutes les personnes photographiées par Fabiola Ferrero, dans des enclaves lointaines du territoire vénézuélien, ont survécu à une tragédie. Victimes — mais jamais victimisées — d’agressions mesquines qui les ont laissées sans abri et sans lieu de travail : un homme qui a perdu le petit hôtel qu’il possédait et gérait depuis quelques décennies ; la femme fière d’une ancienne piscine transformée en réservoir d’eau pour faire face aux coupures constantes ; des professeurs d’université reconvertis en chauffeurs de taxi seniors, jusqu’à ce que l’impossibilité de réparer leurs voitures ou de les équiper de pneus les laisse à nouveau oisifs et abandonnés à leurs chaussures usées, à leurs pensions misérables et à leur solitude. Fabiola Ferrero les photographie au moment où, sur le point de perdre leur bataille éternelle contre la barbarie, ils transforment leur douleur, leur rage, leur frustration, en cette sorte d’éclat inexplicable et bien visible qui nous fait croire à nouveau à l’existence d’un chemin qui nous ramènera à la maison. […]
Milagros Socorro, écrivaine vénézuélienne et journaliste.
Extrait de la monographie Venezuela: The Wells Run Dry, à paraître le 27 octobre 2022

Exposition et monographie
Cette année, le reportage de Fabiola Ferrero fera l’objet d’une double exposition, dans le cadre du festival Photo Saint-Germain. Une exposition intérieure au Réfectoire des Cordeliers, conçue par la scénographe Alice de Bortoli et son collectif, Ortiche, mêlera photographies, archives, textes et vidéos 360°. Une seconde exposition se tiendra sur le Port de Solférino, face au Musée d’Orsay, en partenariat avec la Ville de Paris.
La photographe vénézuélienne s’est attachée à documenter des années de richesse qui n’existent plus que dans les mémoires. Elle s’est rendue dans des lieux autrefois symboles de prospérité, pour y chercher les vestiges d’une réussite économique révolue. Son reportage l’a menée à travers le pays, pour photographier les industries du pétrole et du sel sur le point de disparaître et les communautés qui en dépendent, les universités pillées et laissées à l’abandon, et les dernières traces laissées par les Vénézuéliens ayant décidé de quitter le pays pour un avenir meilleur. Fabiola Ferrero crée une capsule visuelle qui documente le basculement économique de son pays, et les conséquences sur sa population. En écho à cette exposition, dans une volonté de donner la parole à ceux qui font et pensent la photographie et le photojournalisme aujourd’hui, la Fondation Carmignac et Photo Saint-Germain proposent également un cycle associé de rencontres et de projections, réunissant photographes, commissaires, éditeurs photo, collectifs et chercheurs, transformant l’espace en un centre d’échanges effervescent.

Monographie
L’exposition s’accompagne d’un catalogue bilingue français-anglais, Venezuela, The Wells Run Dry, avec des photographies et des textes de Fabiola Ferrero et Milagros Soccoro, journaliste et écrivaine vénézuélienne.
Co-publié par la Fondation Carmignac et Reliefs Editions, il paraîtra le 27 octobre 2022. Cette collaboration reflète une volonté partagée de témoigner, par des photographies et des textes percutants, des enjeux contemporains du Venezuela.

 

Biographie
Fabiola Ferrero est une journaliste et photographe née à Caracas en 1991. Son travail personnel est le résultat du contraste entre ses souvenirs d’enfance et le Venezuela, son pays d’origine. Utilisant sa formation en écriture et en journalisme d’investigation, qu’elle a étudié à Caracas (UCAB), elle développe des projets visuels à long terme en Amérique du Sud, et plus particulièrement sur la crise du Venezuela. Son parcours éducatif en photographie comprend la Joop Swart Masterclass 2019 et l’Eddie Adams Workshop.
Elle a été membre du jury du concours World Press Photo 2022 région Amérique du Sud et boursière de la Magnum Foundation Social Justice Fellowship en 2018. Soucieuse d’offrir des opportunités à d’autres photographes nouvellement arrivés dans la région, Fabiola a fondé Semillero Migrante en 2021, un programme de mentorat autour de la migration. Elle a notamment reçu le prix Inge Morath, le prix du photojournalisme 6Mois et la bourse éditoriale Getty Images.
Elle a également été finaliste pour le Alexia Grant, le Eugene Smith Memorial Fund et le Leica Oskar Barnack Newcomer Award. En plus de développer des enquêtes indépendantes en Amérique latine, son travail a été présenté dans TIME, The New York Times, National Geographic, M Magazine, Le Monde, The Wall Street Journal,Bloomberg Business Week, entre autres. Elle est la 12e lauréate du Prix Carmignac
du photojournalisme.

 



 

Photographies Fabiola FERRERO

Du 28/10/2022 au 22/11/2022
Réfectoire des Cordeliers
Port de Solférino, 75007 Paris

15 rue de l’École de Médecine
75006 Paris
France

Horaires : De lundi à dimanche entre 10h et 18h - Entrée gratuite
prix@carmignac.com
fondationcarmignac.com