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Il y a trente ans, au jardin zoologique de Berlin, je m’étais lié d’amitié avec un petit loris, un potto de Bosman, que je visitais quotidiennement au long de mon séjour. J’attendais qu’il quitte l’obscurité de sa cellule du pavillon des nocturnes pour venir poser sa main contre la mienne, cette petite main comme atrophiée, sur la vitre qui nous séparait. Il ne lui manquait que la parole, et à moi de même, car je ne sais qui de nous deux était le plus étonné par cet étrange rituel, ce long face à face qui ne s’interrompait qu’à l’arrivée des premiers visiteurs.

C’est la même sensation de connivence mêlée d’incrédulité que je retrouve dans cette série photographique d’Elliot Ross, en cet écart où s’établit le dispositif du photographe que chacun semble vouloir combler en s’approchant de l’autre. Ce n’est pas une encyclopédie que Ross compose mais une galerie de portraits, les modèles semblant poser comme au studio sur un fond noir. Ainsi, le choix du noir et blanc, évitant le genre de la photographie animalière, discipline tout à fait honorable par ailleurs, et celui d’animaux non immédiatement identifiables pour le spectateur commun, mèneraient plutôt à les dévisager. Celui-ci semble de mauvaise humeur, celui-là prêt à rire, cet autre à s’envoler, celle-là, peu commode, nous tourne la tête quand l’autre veut bien patienter. Celui-ci est plutôt fier, celui-là courroucé, celui-là encore, prêt au combat. En ce bestiaire, devant ce luxe de pelages, de plumages ou d’écailles si parfaitement détaillés, l’on contemple autant que l’on est contemplé, retrouvant cette part de silence et de mystère qu’un regard échangé avec un animal de compagnie nous offre parfois.

Les photographies d’Elliot Ross ne viennent pas seulement magnifier les animaux dans le soin qu’il apporte à leur réalisation. Elles viennent aussi nous rappeler, à nous, autres animaux, qu’ils sont dotés d’autres performances, d’autres capacités que les nôtres, et que certains d’eux ne se soumettront jamais.

© Xavier Canonne. Directeur du Musée de la Photographie