J’ai entrepris d’explorer depuis cinq ans les mémoires vivantes de l’esclavage et du colonialisme de plusieurs continents. Après l’Afrique occidentale, après les Caraïbes et l’Amérique du Sud, après la Louisiane et le Mississippi aux États-Unis, je me suis intéressé à Cuba et plus particulièrement aux communautés afro-cubaines de l’île, descendantes des anciens esclaves africains et créoles. Les images présentes sont le fruit d’une immersion dans des espaces marginaux, autrefois clandestins, désormais tolérés quoique contrôlés par le régime castriste, que sont les temples de la Regla de Ocha ou de la Regla del Palo, la société secrète Abakua, les associations carabalí ou les loges maçonniques. Cent trente ans après l’abolition de l’esclavage, ces espaces de liberté, fondés sur des valeurs telles que la solidarité, le sacré, la mémoire, l’importance de l’individu, l’auto-affirmation et la liberté d’expression, sont les héritiers directs de formes de culture et de résistance élaborées par les esclaves africains et les «libres de couleur» au temps de la colonisation espagnole.En marge de la mystique afro-cubaine et des pratiques maçonniques, qui n’intègrent pas à ce jour de revendications identitaires ou politiques ouvertes, le mouvement hip-hop, importé des États-Unis au début des années 90, participe aussi, et de façon inédite, à la création d’un espace de liberté et de contre-pouvoir pour les nouvelles générations. Ce travail photographique montre également comment les raperos revendiquent aujourd’hui une identité et une culture negra, réactualisant ainsi l’histoire du passé esclavagiste à partir d’un questionnement sur le présent.Par-delà les contradictions et les discontinuités propres à chacun de ces acteurs, ce projet souligne le rôle fondamental joué par les afro descendants dans l’élaboration d’espaces marginaux de mémoire et d’émancipation qui contribuent sensiblement à la définition de l’identité cubaine et de ses multiples représentations.