PHOTOGRAPHIES, CENT SOUVENIRS


This post is also available in: Anglais

Sans doute ne devrais-je pas ajouter mots à ces photographies. J’ai d’ailleurs égaré le carnet acheté à cet effet sans y avoir gribouillé la moindre ligne. Il y a comme cela des moments de notre vie où l’on perd tout, où soi-même on s’égare en plein jour dans les rues familières, jusqu’au fin fond de son lit, soudain devenu immense.
Ma première préoccupation en arrivant à l’hôpital fût de me faire prêter une blouse blanche : un déguisement afin de pouvoir aller, errer, disparaître à ma guise. Si j’ose dire, me faire oublier de ceux qui oublient, tel un piètre acteur, tenir mon rôle sans texte ni scénario défini. Bien sûr, j’aurai pu me procurer des accessoires de comédien, sans avoir à beaucoup forcer sur les artifices ou les années à venir, me grimer en vieil homme… mais nul besoin, puisque l’appareil photo et la photographie elle-même déjà sont un masque.
Je me tiens donc parmi eux – les oubliés qui oublient, s’oublient, vous oublient, et les tremblements de terre, et les guerres et les naguères et le FMI et les poésies… J’écoute, participe aux rares conversations. Certains semblent me reconnaître, me disant « oh, cela fait si longtemps, comment allez vous, on ne vous voit plus » ; d’autres me saisissent la main, me font asseoir à leur côté, me montrent mille objets : aiguilles et pelotes de laine pour tricots, bleu, rouge ou mauves, doudous, gris-gris, photos cornées, transistor radio, peignes édentés, fards, harmonicas, roman de Jonathan Swift, plan abîmé de Venise – c’est vrai, je n’invente pas, je le jure !
Où et quand ? L’hôpital est-il un théâtre, une gare ? Que reste-il donc des rêves, dans l’endormissement permanent ? Peut-être rien ne ressemble davantage à une pendule à l’heure qu’une pendule détraquée ; ou un calendrier de cette année à un calendrier d’il y a quarante ans, avec feuilles manquantes.
A vrai dire, parmi les oubliés qui chantent, j’ai photographié comme cela me chantait. En désordre volontaire, et même, ne vous en déplaise, n’importe comment. La photographie, sans doute, est un passé comme un autre, une mémoire aussi imparfaite qu’une autre. Je n’ai pas inventé de mise en scène, la mise en scène se faisant toute seule, ni recherché l’instant décisif, puisque, en ces lieux, comme en d’autres, l’instant, assurément, n’existe pas.
J’aime l’obscurité des couloirs. Les rideaux recouvrant les fenêtres. Les débris de lumières du jardin, se faufilant, doucement, jusqu’aux visages assoupis. Voilà, qu’également me vient le désir de dormir. Je me perds entre les étages, écoute les petits oiseaux au dehors… Be not afeard – the isle is full of noises, de la somnolence naissent des images, la boîte à photo me guide plus que je ne la guide. Je ne crains pas la tempête, personne ici ne craint la tempête, ni les longues étendues de sable. Tout semble simple, les mots adoptent de nouveaux sens, les conjugaisons de nouveaux temps. On parle ou on chuchote, peu importe, le plus important étant d’éviter quelque peu l’ennui, chose aisée pour certains, derrière leurs paupières sans hier ni demain, sans souvenirs à venir.
Pourquoi toujours photographier au plus noir ?
Parce que c’est ressemblant.
Mais j’aurai dû, en ces chambres et corridors de la mémoire éparse, vous parler de l’amour – si souvent vu, qu’aucun n’oublie.
Photographies HERVE BAUDAT

Du 08/11/2011 au 01/01/2012
CITE DE LA SANTE
Cité des sciences et de l'industrie - 30 avenue Corentin Cariou
75019 Paris
France

Horaires : Du mardi au dimanche, de 12h à 18h45
Téléphone : 01 40 05 76 84
citedelasante@universcience.fr
www.universcience.fr/fr/cite-de-la-sante