Ouvrir une Troisième Ligne est l’idée qui a germé dans le cerveau de Mao Zedong au début des années 1960. A l’époque, les relations sino-soviétiques sont au plus mal : Khrouchtchev vient de couper les vivres à la République Populaire de Chine, laquelle le soupçonne de comploter avec l’Occident. Au sud, c’est la guerre au Vietnam, les GI sont dans les rizières. L’état-major chinois, dans un excès de paranoïa collective, se met alors à redouter une attaque nucléaire, un conflit au frontière et un débordement de la guerre froide. La Chine veut se préparer au pire, mettre à l’abri troupes et matériel : fabriques d’armes, centrales thermiques, complexes sidérurgiques, mines, … tout peut devenir la cible des Russes ou des Américains.

En 1964, Mao Zedong décide d’évacuer en lieu sûr 3000 usines stratégiques éparpillées en Premier et Deuxième Fronts sur les côtes ou près des frontières du sud et du nord-est. Le choix se porte alors, pour ce déménagement gigantesque, sur les montagnes du centre de l’empire qui ont échappé à toutes les invasions. L’ordre est lancé par Lin Piao, ministre de la Défense : « Construisez les usines dans les montagnes et dans les grottes ».
Des centaines de milliers de familles de Sanghai, de Canton et de Mandchourie migrent donc dans le Sichuan, le Guizhou ou le Yunnan. Le transfert du Troisième Front durera 16 ans et coûtera chaque année près d’un tiers du budget de la nation. Au moment où il est sur le point d’être achevé, au début des années 1980, Mao Zedong est mort, l’URSS est mal en point et la Chine vient de se convertir à l’économie de marché. Deng Xiaoping, le nouvel homme fort, ordonne de fermer La Troisième Ligne. Certaines usines se retrouvent abandonnées avant même d’avoir servi. D’autres sont rachetées par les nouveaux entrepreneurs privés et recyclées dans l’industrie automobile ou l’électronique.