JAMES NACHTWEY

Un monde en guerre


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La Galerie genevoise Laura Gowen accueille le photographe James Nachtwey
L’Américain montre ses images de guerre, tirées en grand format. Il y a là l’Afrique du Sud comme l’Afghanistan. Un monde en guerre.

«Il faut savoir attendre», dit l’adage. Laura Gowen a attendu. Oh, pas très longtemps! La galeriste a déprogrammé ce printemps son exposition James Nachtwey. Le photographe, qui avait pourtant annoncé sa volonté de ne plus bourlinguer, sentait l’appel de l’Ukraine. Une sorte de démangeaison. Lui qui avait fait toutes les guerres depuis le conflit civil irlandais du Nord en 1981 (le Rwanda, le Salvador, le Kurdistan, la Bosnie ou l’Afghanistan) n’avait pas le droit de manquer celle-là. Il lui fallait témoigner. A 74 ans, l’Américain est donc reparti avec son sac et ses appareils… D’où un accrochage provisoire de Laura Gowen en avril dans son espace de la Grand-Rue, au titre insolite. Il s’intitulait «Waiting for Jim» et comportait une seule image de l’envolé

Cette fois-ci, le New-yorkais de Syracuse n’a pas fait faux bond à sa marchande. Il a amené des images dont il a discuté le choix final avec elle. La sélection a donné lieu à des tirages de plusieurs dimensions, ces dernières se révélant parfois respectables. Un mètre demi de large. Ces clichés représentent des décennies d’une carrière marquée par l’obtention d’un nombre record de prix, du World Press Photo aux (il en a obtenu cinq!) Robert Capa Photo Award. Ces récompenses ont rythmé un parcours accompli en indépendant, puis dans deux prestigieuses agences de presse. Magnum d’abord et Agence VII ensuite. Ceci sans compter les expositions ayant servi à Nachtwey de jalons. Je retiens ainsi celle de la Bibliothèque nationale de France sur le site Richelieu en 2010. L’Américain avait alors consenti une importante donation à l’institution. Elle sert aujourd’hui pour lui de collection de référence.

Que montre-t-il aujourd’hui sur les murs blancs de blanc de Laura Gowen? Du noir et blanc et de la couleur. Du détendu et du dramatique. Mais quand des enfants jouent chez James Nachtwey, les canons ne sont pas loin. Nous sommes toujours dans des lieux ayant fait les gros titres des journaux pour de mauvaises raisons. Quand ce n’est pas Soweto, il s’agit de Kaboul, de Grozny, de Soweto, de Belfast ou de la New York des «Twin Towers». Faut-il y voir un symbole? Dans toutes les images de l’Américain le sombre domine de loin sur le clair. C’est comme si la nuit n’en finissait pas de tomber. Je citerai une vue de la capitale afghane prise en 1996. Une femme voilée de dos reste le seul point clair d’un univers accablé par les ruines. Même en temps normal, il en va ainsi. Laura Gowen a obtenu un portrait de Nachtwey que je n’avais jamais vu. C’est celui d’une «gueule noire» roumaine. Ne se détachent du fond que les deux yeux intenses du mineur.

Les photos sont bien sûr à vendre. Je me sens toujours intrigué de voir qui va les acheter. Vivre avec du James Nachtwey suppose un estomac solide et la conscience en paix. Il n’y a pas chez lui les moments de repos vus chez son prédécesseur Don McCullin, qui a multiplié les paysages et les natures mortes. Surtout d’ailleurs depuis que le Britannique a dételé. On ne sent aucune échappatoire avec l’Américain, pour qui le monde se révèle en perpétuelles convulsions. Une légère concession se voit juste faite à l’esthétique. L’homme compose admirablement. Le technicien sait jouer des lumières. Le perfectionniste fait enfin tirer d’une manière impeccable. D’où un éternel conflit, moral cette fois. Jusqu’à quel point ose-t-on faire de la belle photo avec des choses horribles? Je répondrai «parce que ces choses sont déjà assez laides comme cela». Et puis il faut bien ici que les œuvres se vendent! Nachtwey entend céder cette fois la moitié de sa part à la Croix-Rouge et à Médecins sans frontières pour l’Ukraine.

Etienne Dumont

Etienne Dumont a fait à Genève des études qui lui ont été peu utiles. Latin, grec, droit. Juriste raté, il a bifurqué vers le journalisme. Le plus souvent aux rubriques culturelles, il a travaillé de mars 1974 à mai 2013 à la « Tribune de Genève », en commençant par parler de cinéma. Sont ensuite venus les beaux-arts et les livres. A part ça, comme vous pouvez le voir, rien à signaler.

 


 

Photographies James NACHTWEY

Du 29/06/2022 au 31/08/2022
Galerie Laura Gowen
Grand-Rue 23
1204 Genève
Suisse

Horaires : Mardi-Vendredi 10:00 - 18:30 / Samedi 11:00 - 17:00 / Et sur rendez-vous
Téléphone : 022 700 30 68
www.gowencontemporary.com