Edward Burtynsky - Mounds and Voids

From Human to Global Scale


This post is also available in: Anglais

Présentation

Photographe canadien renommé, parcourant la planète depuis des décennies en explorant les paysages résiduels issus de notre existence moderne, Edward Burtynsky met en images d’une beauté paradoxale l’abondance et le manque, les enjeux locaux et globaux de l’eau et du pétrole, l’exploitation des ressources, et l’impact en résultant sur les mains-d’œuvre et les populations.
Burtynsky a livré récemment un projet ambitieux et panoramique de toutes les composantes d’un cheminement aussi cohérent qu’engagé, Anthropocène.
L’exposition du Centre culturel canadien propose une traversée inédite et subjective des corpus de cette œuvre colossale.
Mounds and Voids se concentre sur les moyens industriels et humains convoqués dans l’exploitation rentable des sols, sur l’équilibre global des pleins et des vides engendrés par nos déséquilibres locaux, sur des sous-terrains et des reliefs qui n’ont rien de naturel. À l’écart des grands centres urbains et du quotidien des privilégiés, quelles empreintes les opérations de creusage et d’accumulations laissent-elles sur notre planète ? Que voit-on et que sait-on de ceux qui creusent, extraient, ramassent, sélectionnent à main nue, là où la machinerie industrielle ne peut agir ?
À partir d’un face-à-face immersif et contrasté entre un chantier industriel et un chantier artisanal en Afrique, l’exposition propose un regard percutant mais également paradoxal sur les coulisses de notre monde, nous invitant à prendre la mesure des enjeux locaux et globaux de l’exploitation des ressources. Mounds and Voids : from Human to Global Scale est également une réflexion sur la construction de l’image et sa puissance propre, sur une forme tout à fait singulière de maîtrise de la représentation de l’espace et de l’échelle des choses, ainsi que sur une exploitation assumée de la technologie au service d’un regard explorateur déjouant et défiant les limites de la perception.
L’exposition réunit deux œuvres monumentales réalisées à Johannesburg et Madagascar et issues du plus récent projet d’Edward Burtynsky, Africa ; un ensemble d’expériences de réalité augmentée constituant une méditation sur la mémoire des reliques industrielles ; une sélection condensée de quatorze photographies abordant les ressorts de l’élaboration visuelle de l’exploitation des sols et du recyclage.

Catherine Bédard

 

Grande galerie

« J’en suis venu à penser que ma préoccupation pour l’Anthropocène – c’est-à-dire les marques indélébiles laissées par l’humanité sur le relief géologique de notre planète – est un prolongement conceptuel de mes centres d’intérêt premiers et fondamentaux en tant que photographe. En effet, j’ai toujours été soucieux de montrer comment nous transformons profondément la Terre. Dans ce but, je recherche et je photographie de gigantesques installations humaines qui y inscrivent leur marque à long terme. Au cœur de mon défi, il y a donc une quête cruciale de points de vue privilégiés permettant de visualiser le rapport de ces infrastructures au terrain.
Dès mes premiers voyages photographiques dans les années 1980, j’ai cherché à libérer mon objectif du ras du sol. Lors de mes premiers travaux sur les voies ferrées, les fermes d’élevages, les carrières, les mines et les chantiers navals, je m’efforçais de trouver un point en hauteur où planter mon trépied : tertre, pont, toit ou passerelle… quelque promontoire offrant de vastes vues d’ensemble du lieu.
Puis, sur mes projets China et Oil), j’ai loué des tables élévatrices mobiles et des camions à chariot élévateur pour m’élever au-dessus des points de vue terrestres de mes précédents travaux et englober ces ensembles spectaculaires. L’année 2006 a toutefois marqué un tournant majeur avec l’avènement de la technologie numérique et d’un nouveau mode de production de l’image. Je pouvais à présent monter mon appareil sur un monopode pneumatique de 12 mètres et le contrôler électroniquement. En utilisant des drones, des avions et des hélicoptères, j’obtenais aussi des vues aériennes capables de restituer toute l’étendue de sujets tels que des réseaux de transport, des mines, des infrastructures agricoles et industrielles, en saisissant des perspectives qui m’avaient échappé auparavant. Au lieu de voir mon travail dicté par les limites de la topographie ou des structures façonnées par l’homme, je pouvais littéralement m’élever et diriger un objectif en vol ».

Edward Burtynsky, “Life in the Anthropocene”, in Edward Burtynsky. Anthropocene, Göttingen, Steidl, 2018, p. 5-6.
Traduction française Cécile Nelson pour le CCC

 

 

 

EXPOSITION Edward Burtynsky
Mounds and Voids : From Human to Global Scale

Mezzanine

Des reliefs et des creux, des montagnes de matière, de matériaux, de résidus, des trous béants ou sous-terrains sont reliés les uns aux autres dans la grande entreprise qui anime Burtynsky. Ils sont le résultat des opérations d’extraction des ressources du sol. Si chaque image se concentre sur un impact local (un site significativement circonscrit), elle renvoie toujours implicitement à un impact global. Edward Burtynsky a donné forme à une réalité aussi évidente qu’implacable : à savoir que le régime de consommation du « monde moderne » est fondé sur la croissance, et que la croissance ne peut exister sans une exploitation massive. En somme, que la contrepartie de la production est la destruction.

Son approche artistique des paysages altérés procède à la fois d’une connaissance et d’une familiarité avec le monde de l’industrie et d’une capacité exceptionnelle à établir des relations de cause à effet ou des associations symboliques fortes entre des réalités distantes. Cette sélection de quatorze images propose une trajectoire singulière à travers les multiples projets, enquêtes et explorations réalisés par Edward Burtynsky sur vingt ans (entre 1999 et 2019). Concentré très dense d’une production colossale, cet ensemble donne une vision inhabituelle (ni chronologique ni thématique) du travail, et cherche à montrer la complexité et la profondeur qui la traverse, ainsi qu’une certaine opacité, compacité moins séductrice et plus inquiétante qu’il n’y parait. S’ouvrant avec la désormais célèbre pyramide de charbon de Bao Steel, en Chine, cette trajectoire se referme sur les pyramides inversées que constituent les carrières et les mines. La trajectoire commence dans les tons sombres des énergies fossiles auxquels répondent les piles de pneus d’Oxford (décharge dantesque de la côte ouest américaine), objets faits de caoutchouc, l’un des multiples dérivés du pétrole. Suit une séquence de trois images qui relient ici le Canada à l’Afrique à travers la monstration d’exploitations de sites pétrolifères à ciel ouvert. Le contraste entre d’une part une organisation industrielle performante et ultra protégée et d’autre part la désolation d’un site naturel dévasté et fuyant de partout rappelle ici le face à face des murales vues dans la galerie en contrebas. La déforestation, la surconsommation d’eau liée aux procédés de transformation du bitume, la pollution de l’eau résiduelle et celle des sols infiltrés par cette toxicité non contenue, tout cela s’accumule dans ces images stagnantes où semble se matérialiser dans une chimie (illusoire) de l’image une porosité contre-nature.

Puis vient un homme assis sur une pile de déchets, et un chien qui rôde à proximité. Nous ne sommes plus confrontés à l’échelle des sites mais à celle des humains. Et ce n’est plus le rapport de l’espèce humaine à ses productions que Burtynsky montre ici, mais des personnes que nous voyons de plus près et dont la posture ou le regard va définitivement s’imprégner en nous. Images mémorables où le recyclage de nos
déchets se fait dans des décharges éloignées achetées (Bengladesh, Kenya) par des états et des multinationales à peu de frais, et où la main de l’homme réussit malgré tout à assurer sa survie sur les sites jadis naturels désormais transformés par la machinerie lourde.

Aux couleurs cruellement joyeuses de Dandora Landfill succède une alternance d’images de terre et de rouille. La série des 14 images se clôt sur le côte-à-côte d’une montagne de pierre (Carrare, Italie) et d’un gigantesque trou dans le sol (Silver City, USA). Leur étrange ressemblance nous renvoie à l’essence même du travail de l’artiste. Dans cette proximité finale, l’évidence qui nous frappe est cette maitrise impressionnante de l’appréhension et de la perception de l’espace qui caractérise l’œuvre de Burtynsky, l’artiste arrivant à faire voir en une même image l’intime fusion d’une chose et de son contraire. Dans ces deux formes de pyramides inversées circonscrites par le dessin irrégulier d’une longue route de terre, viennent à l’esprit les anciennes forteresses depuis lesquelles on regardait depuis les hauteurs pour protéger le territoire environnant…

Catherine Bédard


« La récente émergence de la Chine comme puissance mondiale de l’acier a été conduite par le Shanghai Baosteel Group, une entreprise modèle d’État sur les rives du fleuve Yangtse au nord de Shanghai, qui est le plus grand et le plus moderne centre sidérurgique du pays. Baosteel est le sixième plus gros producteur d’acier au monde et emploie 15 600 personnes. Quasiment tout le minerai de fer de Baosteel est importé, issu de mines situées en Australie, au Brésil, en Afrique du sud ou encore en Inde. En 2005, Baosteel produisait 16 millions de tonnes d’acier, consommant pour ce faire plus de 18 millions de tonnes de charbon local. Les produits de la firme sont exportés à travers le monde entier : Extrême-Orient, Asie du sud-est, Amérique du nord et Union européenne.

Baosteel fournit également des constructeurs automobiles tels qu’Audi, General Motors, Ford et Volkswagen ainsi que des fabricants d’appareils électroménagers et répond aux besoins en matériel tubulaire de l’industrie chinoise d’exploration pétrolière et gazière. »

Edward Burtynsky Studio, “Steel and Coal”, in China. The Photographs of Edward Burtynsky, Göttingen, Steidl, 2005, p. 125.
Traduction française Cécile Nelson pour le CCC

 

« Souvent je cherche le plus grand spécimen de quelque chose – la plus grande mine, la plus grande carrière, le secteur le plus actif. Les grandes exploitations donnent les transformations les plus importantes et les plus complexes. La pile de pneus Oxford m’a offert un véritable canyon de quarante millions de pneus avec lequel j’ai pu travailler. (…) Nous sommes entourés de toutes sortes de biens de consommation, et pourtant, nous sommes profondément détachés de l’origine de ces choses. Notre style de vie est rendu possible par les industries installées partout dans le monde, mais nous tenons tous cela pour acquis. C’est la toile de fond de notre existence. J’ai le sentiment qu’en qu’en montrant ces lieux qui échappent normalement à notre expérience mais qui sont pourtant une part concrète de notre vie quotidienne, je peux nous aider à comprendre qui nous sommes et ce que nous faisons. Le monde déborde de sujets. »

Edward Burtynsky interviewed by Michael Torosian, “The Essentiel Element: An Interview with Edward Burtynsky”,
in Manufactured Landscapes.
The Photographs of Edward Burtynsky, Ottawa, National Gallery of Canada, 2003, p. 46 (p 54 dans la version française).
Traduction française Cécile Nelson pour le CCC

 

 

« La décharge de Dandora est parmi les plus grandes de sa catégorie au monde. Appelée « Décharge municipale de Nairobi », le lieu reçoit des déchets industriels, agricoles, commerciaux et médicaux à hauteur d’environ 2 000 tonnes par jour. De par sa situation à côté du fleuve Nairobi, toute fuite s’écoule dans le réseau hydrographique. On estime que plus d’un million de personnes vivent à proximité de la décharge. Déclassée en 2012, la décharge n’a jamais été officiellement fermée et continue de fonctionner par défaut de mise en service d’un nouveau site. Les riverains y travaillent de façon informelle, triant le rebut à la main, qu’ils vendent à de nouvelles installations de recyclage construites sur le site. Les monceaux de déchets photographiés, d’environ 5 mètres de haut, sont composés essentiellement de sacs en plastique de moindre valeur. En 1950, on fabriquait moins de deux millions de tonnes de plastiques par an dans le monde. Au début du 21e
siècle, cette quantité a atteint 300 millions de tonnes par an. La quantité cumulée de plastiques produite dans le monde en 2015 atteint selon les calculs 5 milliards de tonnes, suffisante pour envelopper la planète entière de film plastique. Trop petits pour être retenus par les filtrages ordinaires, les micro-plastiques sont présents quasiment partout dans notre environnement et forment de plus en plus de couches sédimentaires, ce qui en fait un produit pétrolier clé pour l’analyse stratigraphique de l’Anthrophocène.
En 2017, les sacs plastiques ont été interdits dans tout le Kenya, une mesure appliquée par un nombre croissant de gouvernements désireux de réduire l’empreinte plastique de leur nation. »

Edward Burtynsky Studio, in Edward Burtynsky. Anthropocene, Göttingen, Steidl, 2018, p. 32.
Traduction française Cécile Nelson pour le CCC

 

« Dans sa série récente « Démolition de navires » (…) [Burtynsky] examine les cimetières de la marine marchande au Bangladesh, où des travailleurs mal payés, outillés simplement de chalumeaux à découpage et d’outils à main, transforment en ferraille des navires de charge et des pétroliers déclassés. Ce travail est difficile et dangereux, et Burtynsky garde en général ses distances par rapport au sujet. Ses images établissent un parallèle avec les photographies de monuments historiques prises dans des contrées exotiques au XIXe
siècle par des photographes comme Maxime Du Camp et Francis Frith. La référence lointaine de la série « Démolition de navires » à une vision maintenant discréditée du colonialisme, de l’«orientalisme », vient compliquer notre disposition à admirer. Du fait de sa position géopolitique, le spectateur ressent un certain malaise devant ces images. Bientôt, l’affinité visuelle entre le chantier de démolition et un jardin de sculptures nous vient à l’esprit. (…) Les démolisseurs de navires bangladais intervertissent sans le vouloir les ambitions de sculpteurs du XXe siècle comme Richard Serra, Mark di Suvero et David Smith, qui rêvaient de façonner un train entièrement à la main. »

 

Kenneth Baker, “Form Versus Portent: Edward Burtynsky’s Endangered Landscapes”, in Manufactured Landscapes.
The Photographs of Edward Burtynsky, Ottawa, National Gallery of Canada, 2003, p. 41 (p 41 dans la version française)

 


 

Photographies Edward BURTYNSKY

Du 10/11/2020 au 19/09/2021
Centre Culturel Canadien
130, rue du Faubourg Saint-Honoré
75008 Paris
France

Horaires : Entrée libre et gratuite du lundi au vendredi de 10h à 18h, mais ne manquez pas nos visites guidées sur réservation en présence de la commissaire, Catherine Bédard.
Téléphone : +33 (0) 1 44 43 21 90
Marion.Rayet@international.gc.ca
www.canada-culture.org