UlTIMA VERBA, Dans l'intimité de Gérard Gartner

Mutsa, l'artiste tsigane aux mille vies

Jeannette GREGORI


This post is also available in: Anglais

 Mai 2019

Résumé

Liens vers la bande annonce du film d’Eric Premel et Marine Blanken Ultima Verba, les 48° Rugissants, consacré à Gérard Gartner :

https://youtu.be/aafRhNmPHdQ

https://vimeo.com/238541533

Gérard Gartner, 84 ans, artiste tsigane, installé à Collonges-la-Rouge, en Corrèze, publie en 2019 deux nouveaux récits à empreinte autobiographique Dernier coup de poing et A la rencontre d’Alberto Giacometti. À travers ces ouvrages retraçant sa carrière de la boxe à la sculpture, il rend hommage aux personnes qu’il a rencontrées : Théo Médina, le boxeur gitan et le sculpteur Alberto Giacometti qui a inspiré son œuvre. « C’est plus facile pour moi d’écrire que de parler pour raconter mon histoire. » En 2016, Gérard Gartner, sculpteur de renommée internationale, avait déjà fait parler de lui en détruisant l’ensemble de sa production artistique à Douarnenez lors d’un évènement qu’il avait baptisé « Ultima Verba ». « Pour montrer que les Gitans ne font pas que de la musique », il s’était fait le porte-parole des artistes tsiganes, en organisant à Paris, la Première Mondiale d’Art Tsigane en 1985 ou en écrivant la biographie Carnets de Route de son ami défunt Matéo Maximoff, premier écrivain rom de langue française. Les initiatives de Gérard Gartner sont restées fidèles à son aspiration profonde : rendre un hommage fraternel aux siens.

 

Note d’intention 

Chaque année le 26 mai, aux Saintes Maries de la  Mer, lors du pèlerinage gitan, Gérard Gartner honore de sa présence  la cérémonie au tombeau du Marquis de Baroncelli. Son sens naturel de la gratitude l’exhorte à commémorer celui qui a créé la nation gardiane en 1909 et qui a soutenu le pèlerinage gitan en permettant que la statue de Sainte Sara soit amenée à la mer pour la première fois en 1935. C’est lors de cet hommage que  j’ai vu Gérard pour la première fois en 2012 cependant j’avais déjà tissé avec lui un lien spirituel en lisant son œuvre. La biographie qu’il a consacrée à son ami Matéo Maximoff Carnets de Route m’avait  permis de percer sa sensibilité d’auteur.

L’hommage que je rends à Gérard Gartner à travers ce reportage, réalisé dans sa maison de Collonges la Rouge, ne serait assez exhaustif sans l’expression de ma gratitude pour son jugement éclairé sur l’approche de l’Histoire des Tsiganes du XXème jusqu’à ce jour.  Sa demeure regorge de trésors historiques du monde rom, des souvenirs du passé culturel ou d’ événements politiques: une bibliothèque qui contient plusieurs collections rares, des photographies, lettres, articles de journaux, enregistrements sonores ou vidéos. Pour ses hommages altruistes aux personnalités roms et ses accomplissements animés par la conscience de la condition des siens, il méritait que la lumière se tourne vers lui. Et à ceux qui ont la chance de le rencontrer, il sait insuffler une force joyeuse à l’image de son tempérament enjoué et énergique.

Gérard Gartner est né en 1935 à Paris d’une mère manouche et d’un père rom, venu de Russie qui vivaient à cette époque, sur un terrain d’Aubervilliers. Dans les premières années de sa vie, il est élevé par sa famille paternelle et apprend à lire et à écrire seul, à l’âge de 12 ans. Dans sa communauté, on l’appelle « Mutsa », le chat, pour son agilité et son regard perçant. Initié par un ami de son grand-père, le boxeur Théo Medina, il monte sur le ring. Le jeune homme devient champion de France amateur poids léger et dispute ensuite à Helsinki, Finlande, le championnat d’Europe professionnel. Mais dans ce monde de sportifs, on lui impose un rythme de vie qui  ne lui convient pas. « Je n’avais pas un mode de vie très strict, je sortais beaucoup,» se rappelle-t-il. Dernier coup de poing, soliloque d’un ancien boxeur du ring de Pantin remonte au début des années 1950 où « le petit gitan que j’étais, alors adolescent, se met à la boxe, dans le club de Pantin, explique Gérard Gartner. Je retrace ma toute petite carrière sur une dizaine d’années, avec une vingtaine de combats professionnels, mais surtout je parle des grands boxeurs que j’ai croisés, comme Théo Médina, premier boxeur gitan connu mondialement. » Ce sport lui a permis de sortir de son milieu et de faire face à l’adversité. Dans ses écrits, il ne ménage pas le monde de la boxe anglaise, « les manigances des managers et des organisateurs ». A la mort de Théo Medina, Gérard Gartner  démontre son sens de l’amitié en mettant tout en œuvre pour qu’il soit enterré près de son manager au cimetière de Pantin. Il enchaîne ensuite les petits boulots : patron de café, co-inventeur du VTT à l’âge de 25 ans en copiant les motocross mais aussi embaumeur ou encore garde du corps de ministres, dont André Malraux dans les années 1960.

C’est aux côtés de Georges Brassens et Louis Lecoin qu’il commence à crayonner. Mais sa rencontre avec Alberto Giacometti bouleverse sa vision de l’art. Comme il le confie : «  L’année 1964 a été très importante pour moi : j’ai arrêté la boxe, je suis devenu le garde du corps du premier Ministre André Malraux et Giacometti est rentré dans ma vie. » Gérard Gartner qui s’est souvent rendu à l’atelier du sculpteur pour observer son travail, analyse, dans A la rencontre de Giacometti la démarche artistique de son maître : « C’est avec lui que j’ai commencé à sculpter et à me fabriquer mon idéologie, notamment sur la destruction des œuvres. Ce qu’il faisait n’était pas créer mais détruire, décrit l’artiste, il façonnait ses statues en enlevant plus de matière qu’il n’en ajoutait. » A la mort de son ami, il se consacre totalement à la sculpture dans les années 1967-1968. Le déclic suivant, il l’a en récupérant des rebus dans une déchetterie. Il est attiré par un tas de plastiques colorés déposés par une usine. Issu d’une famille de chaudronniers, il a un chalumeau dans la tête. C’est donc machinalement qu’il utilise cet instrument pour chauffer le plastique à 200°C. Il lui donne une nouvelle forme en y intégrant de la peinture de carrosserie automobile. Ses sculptures sont non figuratives mais pas tout à fait abstraites. Elles ressemblent aux entrailles et aux viscères qu’il a manipulés quand il était embaumeur. « J’ai toujours gardé un rapport particulier à la mort, pourtant tabou chez nous » dévoile Gérard Gartner. Ses 250 sculptures voyagent de Paris à Berlin, à Moscou, en Espagne, en Italie, en Suisse, au Québec et à New York. « Je me déplaçais en camion, c’était agréable », se rappelle-t-il avec délice.

Pour défier la société, il a toujours refusé de vendre ses œuvres. Pour lui, cela équivaut «à pactiser avec le commercial. » Gérard Gartner est parfois classé comme l’un des derniers dadas mais il refuse d’appartenir à ce mouvement né en 1916. « Ils nous ont trahis. Dada n’a pas été jusqu’au bout, il n’a pas détruit ses œuvres. » Lui, en revanche a décidé de le faire et ce, depuis le début. « Rien n’est durable, tout est en mouvement. La mort n’est pas une conséquence de la vie, c’est une transformation des choses» explique l’octogénaire. Une philosophie qui renvoie également à ses racines gitanes « où il n’y a pas d’héritage. On brûle la caravane d’un défunt avec ses affaires. Tout est intemporel, retourne à la poussière. » Il a choisi symboliquement les 50 ans de la mise en terre de Giacometti, le 16 janvier 2016 pour cet évènement. Une vingtaine d’œuvres ont été détruites à la tronçonneuse. Compte tenu du volume à détruire, une grande partie s’est faite dans un centre de tri spécialisé entre Nantes et Rennes. Gérard Gartner a décidé de donner ensuite une nouvelle vie à ses œuvres en les recyclant en porte-manteau, tableau de bord ou gobelet.

Par le passé, il avait déjà entrepris des projets audacieux. « Pour montrer que les Gitans ne font pas que de la musique », il s’était fait le « porte-parole » des artistes tsiganes. Aux Côtés de Sandra Jayat, et sous le haut patronage de Jack Lang, il avait  organisé en 1985 la Première Mondiale d’Art Tsigane. Des plasticiens roms provenant de tous les pays d’Europe s’étaient trouvés réunis lors d’une manifestation à la Conciergerie à Paris. Il avait  enchaîné en publiant Les Sept Plasticiens Précurseurs Tsiganes où il retrace les parcours d’Otto Mueller, de Serge Poliakoff, d’Helio Gomez, de Tela Tchaï, de Django Reinhardt, de Constantin Nepo et de Yana Rondoletto ainsi que « Nepo, célèbre inconnu », une biographie dédiée à l’artiste à partir d’une anecdote étonnante. Toutefois, ce dont il est le plus fier demeure l’hommage qu’il a rendu à Matéo Maximoff, premier écrivain rom de langue française, dans une biographie intitulée Carnets de Route. La nécessité de la transmission au même titre que la noblesse du sentiment d’amitié qui le liait à l’auteur de Savina ont inspiré sa plume. A travers ces œuvres, Gérard Gartner est resté fidèle à son aspiration profonde : rendre un hommage fraternel aux siens.

En s’illustrant dans la sphère intellectuelle où l’on n’attendait pas un Tsigane, Gérard Gartner est aussi un exemple à suivre pour les nouvelles  générations. Il accompagne Matéo Maximoff dans la lignée des Roms qui, en affirmant leurs compétences singulières, ont transgressé les clichés liés à leur appartenance ethnique. En œuvrant pour la dignité de leur communauté, ils ont écrit une page d’histoire et incarnent l’espoir de l’évolution des Tsiganes de demain.

Jeannette Gregori


 

Pays : France
Région : Corrèze
Lieu : Collonges la Rouge

Nombre de photos : 29