SUR LA ROUTE DU FLEUVE SÉNÉGAL

Sophie BACHELIER

Djibril a conservé ses cahiers de classe du temps de la colonisation. Ici, un poème sur les griots, en français.© Sophie Bachelier/ADAGP, Paris, 2020


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Juin 1994 / Mars 1995

 

La route du fleuve, cette longue route qui nous emmena, en vieille 504 Peugeot, depuis Dakar jusqu’à Bakel, à la frontière de la Mauritanie et du Mali, je l’ai ressentie comme le chemin qui nous conduisait de « l’autre côté des choses » et les premiers jours de notre arrivée dans le Foûta Tôro, j’eus l’impression de me retrouver derrière le miroir de l’Afrique des cartes postales – l’avant-scène étant Dakar, avec son aéroport international et son architecture coloniale décatie. Sur place, je découvrais l’extraordinaire organisation existant entre les travailleurs partis en France et leurs familles restées au pays. Les paysans du fleuve déjà très affaiblis par les longues années de sécheresse et le manque de bras disponibles (à cause de l’émigration) – subissent le caractère lunatique de leur fleuve aujourd’hui régulé artificiellement par les ingénieurs du barrage de Manantali.

Plus je restais, mieux j’en comprenais la nécessité, j’en saisissais, aussi, toute la difficulté. Car un voyage s’inscrit simultanément dans l’espace, dans le temps et dans la hiérarchie sociale. Cette « hiérarchie sociale » qu’évoque Lévis- Strauss à été pour moi une des plus grande difficulté à résoudre. Il m’a fallu « apprendre » à me situer par rapport à la représentation que les autres se faisaient de moi et je pourrais dire comme Georges Balandier : « je n’ai jamais ressenti autant combien ma « race » et mon appartenance à un système social déterminé peuvent me classer, d’une manière automatique, sans que mes intentions ou mes options aient la possibilité d’intervenir ». C’est là, que je pris réellement conscience que tout était lié, que chaque élément contenait en lui-même l’essence des autres, et que pour tenter de saisir – ne serait-ce qu’une infime partie de ce tout – je décidais de me laisser porter, de « suivre la vie comme elle se développerai »…

Je rencontrais « des vieux » qui « avaient fait » la France, et qui me racontaient leur histoire personnelle, la difficulté qu’ils avaient eu au retour au village, après parfois 30 ou 40 ans d’absence.

Sophie Bachelier / Extrait du mémoire « Sur la route du fleuve Sénégal », DESS Paris 7 Jussieu, sous la direction de Pascal Dibie.


Ces images ont été réalisées avec la pellicule POLAPAN et un Leïca M6.

Soutien : Polaroïd
Pays : Sénégal
Région : Fouta Tôrô
Lieu : Bakel, Matam, Kidira, 1993-1995

Nombre de photos : 60