MANOUCHES, des Caravanes aux Pavillons

Jeannette GREGORI

© Jeannette Gregori


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Résumé

 

Lien vers l’émission Metroplis, ARTE consacré à ce reportage-photo : https://www.youtube.com/watch?v=cZxL7PpIZAA

Lien vers l’article et 1ère de couverture de la revue américaine THE SUN Magazine consacré à ce reportage-photo : https://www.thesunmagazine.org/issues/533/unsettled

 

A la suite d’un arrêté d’insalubrité qui a frappé le quartier du Polygone, où s’étaient installées 170 familles dans les années 1970, la Ville de Strasbourg a opté pour un projet de construction de 150 nouveaux pavillons qui a débuté en 2005. Même si elles ont eu la chance d’être relogées, ces familles aux traditions nomades, ont vécu un tel bouleversement comme une condamnation à ne plus vivre au grand air, une incapacité à se réunir en famille et un assujettissement à une normalisation administrative. Vivre dans un habitat conventionnel et mettre fin à la tradition du voyage sont les composantes d’ un nouveau mode de vie auquel les Manouches devront s’habituer. Parmi eux, beaucoup auraient préféré à un plan de relogement, un assainissement du quartier avec la préservation d’un cadre de vie naturel. Revenir sur le terrain en 2018, avant la destruction complète du site, pour y retrouver toutes ces familles manouches parmi les premières à avoir foulé le sol du Polygone, a permis à la photographe de partager avec eux des émotions intenses. Il lui a paru important d’exprimer leur sensation d’oppression qui accompagnait cette période pendant les six mois précédant la destruction de leur habitat. La photographe a choisi de montrer dans son reportage les fragments de vie de l’ancien monde où régnait « l’âme tsigane » afin qu’ils s’inscrivent dans la mémoire collective : la vie au grand air, les enfants joyeusement affairés sur le terrain vague, les anciens qui ont toujours leur place parmi leur lignée… La destruction de leur habitat pourrait-elle faire plier leur volonté farouche d’affirmer leur différence et de reproduire le même mode de vie ? Cette force d’âme insufflée par l’instinct du voyage pourrait-elle disparaître avec un nouveau mode d’habitation ? Chacun peut comprendre la difficulté que cette population éprouve à se sédentariser et veiller à ne pas porter atteinte aux valeurs immuables qui forgent l’identité tsigane : la simplicité, la solidarité, l’esprit de famille, un mode de vie soucieux de l’environnement, et peut-être même s’en inspirer.

 

Note d’intention

En l’an 2000, le quartier du Polygone où s’étaient installés 170 familles dans les années 1970 a été déclaré insalubre : la Ville de Strasbourg a opté pour un projet de construction de 150 pavillons qui a débuté en 2005. Les médiateurs sur place ont permis de conserver un emplacement pour la caravane, symbole de la prolongation de la vie du voyage.

Revenir sur le terrain en 2018 avant la destruction complète du quartier, pour y retrouver à nouveau toutes ces familles manouches parmi les premières à avoir foulé le sol du Polygone, a permis à l’artiste de partager avec eux des émotions intenses et de recueillir leurs réactions. Il lui a paru important d’exprimer leur sensation d’oppression qui accompagnait cette période pendant les six mois précédant la destruction de leur habitat. L’idée que les maisons construites de leurs mains puissent disparaître brusquement sous des coups de pelleteuse éveillait en eux des sentiments d’impuissance et d’immense tristesse, avec les sensations d’être surveillés et de ne pas avoir été écoutés par la ville de Strasbourg. Parmi eux, beaucoup auraient préféré à un plan de relogement, un assainissement du quartier avec la préservation d’un cadre de vie naturel. Tous ont gardé des souvenirs, certains ont recouvert leurs murs de graffitis chargés de revendications, d’autres ont choisi de brûler leurs lits ou leurs armoires, comme dans la plus pure tradition tsigane. La résistance de ne pas quitter les lieux et de tout détruire soi-même s’est fait sentir chez certains pendant un temps avéré.

Les anciens Fatis et Waou étaient les plus réfractaires. Fatis Adam est père de 10 enfants, qui ont eux-mêmes fondé une famille ; la majorité d’entre eux ont construit leur maison autour de leur aïeul. Waou Kobi a eu six enfants qui, eux-aussi se sont regroupés, autour de lui. Pour le premier, vivre dans une caravane et voyager à travers la France restait le mode de vie idéal, pour le second, être relogé dans un lotissement était radicalement assimilé à un passage aux enfers.

Si pour certains, une sédentarisation forcée va de pair avec la fin du voyage, chez d’autres familles et surtout parmi les plus jeunes, un sentiment entrait en dissonance avec tous les autres: avoir une maison le plus tôt possible pour avoir ses propres toilettes et disposer d’un meilleur confort ainsi que d’une meilleure éducation, alors que nombre de leurs aînés ne savent ni lire ni écrire.

En les opposant aux images de la destruction, l’artiste a choisi de montrer dans son reportage-photo les fragments de vie de l’ancien monde où régnait « l’âme tsigane » afin qu’ils s’inscrivent dans la mémoire collective : la vie au grand air, les enfants joyeusement affairés sur le terrain vague, les anciens qui ont toujours leur place parmi leur lignée, une chapelle érigée dans un coin de nature… La destruction de leur habitat pourrait-elle faire plier leur volonté farouche d’affirmer leur différence et de reproduire le même mode de vie ? Pourquoi cette force d’âme insufflée par l’instinct du voyage disparaîtrait avec un nouveau mode d’habitation ? Si à ce jour, les Fils du Vent n’ont toujours pas adopté l’ensemble de nos valeurs c’est parce qu’ils ont jugé que certaines n’étaient pas aussi bénéfiques que nous le pensions. Chacun peut comprendre la difficulté que cette population éprouve à se sédentariser et veiller à ne pas porter atteinte aux valeurs immuables qui forgent l’identité tsigane : la simplicité, l’esprit de famille, un mode de vie soucieux de l’environnement, et peut-être même s’en inspirer.

 


UNSETTLED

Almost fifty years ago 170 Romani families settled in the Polygone district of Strasbourg, France. They parked their caravan vehicles and, over time, constructed homes on empty land near an airfield, often using salvaged materials. They planted gardens with walnut and fig trees and built outdoor ovens for barbecues. They erected a chapel in a corner of the outdoors, and their children played in a vast abandoned lot.

In 2009 I met some of the families while photographing them for two series of images about the Romani. Seven years later I returned to find they were facing the destruction of their homes. City officials had declared the neighborhood unsafe and unsanitary. The residents’ buildings, the oldest of which dated back to 1974, were to be razed and 150 new houses constructed in their place. These Romani would gain a higher standard of living but lose their lifestyle, with its emphasis on travel and communal closeness.

These photographs were taken in the six months leading up to the demolition. Among the youngest in the community, there were some who looked forward to a comfortable, modern house with an indoor toilet, but feelings of helplessness, sadness, and anger were common among older members. If they assimilated, they would become subject to government oversight and have to give up much of the freedom they valued most.

WHO ARE THE ROMANI?

The Romani — also known as the Roma and, pejoratively, as “Gypsies” — are a people without a country. The name “Romani” comes from their word řom, meaning “man.” Their ancestors migrated to Europe from India in the fifth century and split into several distinct groups, each with its own dialect and culture. Whether by choice or because they were unwelcome, they didn’t permanently settle anywhere or assimilate into larger societies. Today the Romani often don’t have birth certificates or verification of citizenship, making them “legally invisible.” This makes their numbers difficult to count, but a rough estimate is 10 million in Europe and several million elsewhere on the globe.

For centuries the Romani have suffered persecution by both authoritarian and democratic states. They were enslaved in Romania until the mid-nineteenth century, and hundreds of thousands of them were killed by the Nazis. In the twenty-first century they remain the targets of xenophobic attacks and prejudice. If they are not deported, they are often pressured to give up their nomadic lifestyle and culture.

Pays : France
Région : Alsace
Lieu : Strasbourg, Polygone

Nombre de photos : 38