L’Amérique latine dans la tourmente

Fred JACQUEMOT

Fred Jacquemot


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Mexique, Venezuela, Argentine : la révolte sociale gronde. Les communautés indiennes du Chiapas, les pauvres du Venezuela, les piqueteros argentins se soulèvent…

La guerre contre l’oubli : c’est le combat que mènent les zapatistes au Mexique depuis dix ans. Le 1er janvier 1994, ils se soulevaient contre le Traité de libre échange nord-américain conclu entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. Cette révolte symbolise le début de la lutte contre la mondialisation impériale. Dès les premières heures de la nouvelle année, ils occupaient San Cristobal de las Casas, la capital maya sur les hauteurs du Chiapas. L’Armée zapatiste (EZLN) déclarait la guerre à l’armée mexicaine et promulguait une série de lois révolutionnaires. Dix ans plus tard, tout est rentré dans l’ordre, en apparence. Les Accords de San Andrès qui devaient reconnaître l’autonomie indienne en matière de justice et d’éducation, la protection des ressources naturelles et de la propriété collective de la terre, ont été refusés au motif qu’ils signifieraient une sécession.Le président Fox s’était engagé lors de son élection à régler « en 15 minutes » la question indigène : depuis son élection, aucun des droits démocratiques n’a été reconnu.Pourtant, depuis une décennie,les communautés zapatistes ont survécu, la rébellion fait désormais partie de l’histoire mexicaine.

Au Venezuela l’oligarchie soutenue par le secteur le plus aisé des classes moyennes déclanchait il y a un an un lock-out patronal et un sabotage pétrolier de deux mois, qui allait coûter au pays plusieurs milliards de dollars. Cette tentative de déstabilisation suivait de quelques mois l’organisation d’un coup d’Etat contre le président Hugo Chavez, mis en déroute par les mobilisations de la population et d’une partie de l’armée. Après avoir tenté à deux reprises de renverser ce président démocratiquement élu, l’opposition cherche aujourd’hui à le contraindre à la démission en organisant un « référendum révocatoire » contre lui, une procédure prévue par la Constitution. Les mesures sociales décidées par le gouvernement ont attisé la haine des grands propriétaires fonciers. La première mesure prise par le pouvoir issu du coup d’Etat du 11 avril 2002-impulsé directement par l’organisation patronale-fut d’annuler la loi sur les terres. La campagne d’alphabétisation fait aussi grincer des dents tant le mépris et l’arrogance sont enracinés dans des classes dominantes corrompues par la rente pétrolière. C’est sous la direction du parti social-démocrate Accion Democràtica que la corruption atteignit des proportions inédites. Son principal dirigeant, Carlos Andres Perez, élu Président en 1989, allait être suspendu en 1993 pour malversations, puis emprisonné quelques semaines. C’est ainsi que s’explique l’identification massive des pauvres avec la révolution bolivarienne, synonyme d’indépendance et de justice sociale, symbole de résistance à la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA ou ALCA).

L’Argentine, considérée autrefois comme le pays le plus développé d’Amérique latine, a sombré. Carlos Menem, élu Président pendant l’intermède démocratique qui avait succédé à l’une des dictatures les plus sanglantes du continent, appliqua une politique de dérégulation du marché du travail, de privatisations, de dollarisation qui devait provoquer la crise de l’Argentinazo en décembre 2001. Son successeur, le président de la Rua, membre du parti Radical, fut renversé par un soulèvement populaire. « Qué se vayan todos ! » (qu’ils partent tous !) : tel est le cri presque unanime des Argentins pour manifester leur dégoût des politiciens mafieux. La moitié de la population vit aujourd’hui en dessous du seuil de pauvreté, parfois même dans l’indigence. Le mouvement social des chômeurs-les piqueteros-a impulsé des mobilisations massives qui n’ont débouché sur aucun projet politique. L’Argentine est, hélas !, devenue un symbole : celui de l’échec du modèle néo-libéral dont l’application a eu des conséquences humaines tragiques.

Janette Habel

(REGARDS-Janvier 2004)

L’Amérique latine dans la tourmente (Argentine, Bolivie, Chili, Mexique, Pérou, Venezuela.).
C’est le Chiapas qui a tout déclenché. Ce qui m’a intéressé dans ce mouvement initié le 1er janvier 1994, jour de la mise en place des accords de libre-échange de l’ALENA, c’est la prise d’arme des zapatistes pour s’emparer de certains points stratégiques. Après une dizaine de jours d’affrontements, ils ont engagé une autre forme de lutte contre leur gouvernement (via les nouveaux moyens de communication tels internet…), et déclenché ainsi le début d’une lutte contre l’avancée du néolibéralisme. Ce n’était pas une guérilla « classique », comme l’Amérique latine en a tant connu. La situation était totalement inédite. MEXIQUE En 98, après le massacre d’Acteal, qui fit 45 victimes dans la communauté des Indiens Tzotziles, j’ai eu envie d’aller sur place pour me rendre compte de cette réalité. Il m’a fallu trois ans pour faire un état des lieux du « réseau d’en bas » dans cette zone de conflit, et me trouver enfin en présence des dirigeants de l’Armée zapatiste de libération nationale. J’ai eu alors l’impression d’avoir documenté de quoi comprendre le mouvement zapatiste. Le Mexique, pays tampon entre les Etats-unis et le reste de l’Amérique latine est, en outre, le lieu exacerbé du fossé entre richesse et pauvreté. Cette caractéristique, très prégnante visuellement, m’a donné envie de rester sur place. C’était l’époque du sommet de Seattle. VENEZUELA Le coup d’Etat au Venezuela en avril 2002 m’a ensuite conduit dans ce pays. Je voulais comprendre la relation entre le président Hugo Chavez et son peuple, lequel, au lieu de sombrer dans une guerre civile, créait des cercles de pensée, s’organisait, prenait son sort en main et s’appropriait la révolution bolivarienne. Là encore, c’était inédit. ARGENTINE De là, je suis allé en Argentine suivre les mouvements d’ouvriers qui défrichaient de nouvelles formes d’autogestion, reprenaient à leur compte des usines et privilégiaient le partage égal des salaires. Dans la foulée, j’ai suivi le mouvement social des chômeurs et ses barrages routiers établis depuis des mois par des milliers de « piqueteros » réclamant le droit au travail. L’Argentine était en train de devenir le symbole de l’échec du modèle néo-libéral dont l’application allait avoir des conséquences humaines tragiques. BOLIVIE Quand je suis arrivé en Bolivie, le peuple bolivien majoritairement indigène utilise le pouvoir de la rue pour se faire entendre, et mettre en difficulté le gouvernement du président Carlos Mesa au sujet de la nationalisation des hydrocarbures. En juin 2005, après une vingtaine de jours de manifestations appelé la « Guerre du Gaz », le président Carlos Mesa fini par démissionner. Le pouvoir de la rue. En décembre 2005, Evo Morales leader du MAS et Cocaleros prend le pouvoir après des élections anticipées. Pour la première fois dans l’histoire de Bolivie, un indien accède au pouvoir… PEROU Cette série de portraits réalisée en collaboration avec les Droits de l’Homme, ce « Devoir de mémoire », nous rappelle les conséquences dramatiques des années de violence perpétrée par le Sentier Lumineux (plus de 26 000 morts, 4 000 disparus et 50 000 orphelins), et les dérives du gouvernement Fujimori. Le groupe « Les innocents libérés » se composent d’anciens prisonniers condamnés à tort pour terrorisme, tous libérés faute de preuves. Ils se battent encore aujourd’hui pour que justice soit faite. Le peuple péruvien s’organise et prend le même chemin de lutte contre l’impérialisme américain, comme tant d’autres en Amérique latine. CHILI Législation spéciales, loi anti-terroriste réinstaurée, procès où les témoins sont à visages couverts, condamnation sans preuve à 10 ans de prison pour « incendie terroriste », harcèlement policier des familles… nous ne sommes pas au Chili durant les beaux jours de la dictature mais bel et bien en 2007. Hier, victimes des représailles de la junte dirigée par Pinochet, les membres de la Concertation, actuellement au pouvoir, dénonçaient la violation des droits de l’Homme. Aujourd’hui, ils utilisent son héritage arsenal militaro-judiciaire à l’encontre des communautés mapuches. La tragédie mapuche a été dénoncée dans des rapports de la FIHD (juin 2004), d’Amnesty International, de Human Rights mais reste occultée par la presse nationale et méconnue de la presse internationale. Pour moi, le soulèvement zapatiste au Mexique, la révolution bolivarienne au Venezuela, le mouvement ouvrier et celui des « piqueteros » en Argentine, la « Guerre du Gaz » en Bolivie, « Les innocents libérés » au Pérou, les Mapuches au Chili, relèvent d’une même cohérence. C’est le réseau « d’en bas » qui invente de nouvelles formes d’intervention pour prendre en main son destin et défendre ses droits. Et si une nouvelle conscience politique populaire émergeait en Amérique latine ? « Qu’il s’agisse des Maliens à Paris, des ouvriers à Berlin, des aborigènes à Sydney ou des femmes à peu près partout dans le monde, chaque pays compte ses indiens du Chiapas, ses victimes du néo-libéralisme »YA BASTA ! (Communiqués du sous commandant Marcos) « Latin America in the Upheaval » To testify for the awakening of the people’s awareness in Latin America. Demonstrations in November 1999 in Seattle against the World Trade Organization made « globalization » a household word and inspired a generation to take to the streets in increasing numbers. Youth are taking the lead in the most significant challenge to corporate control of politics and the economy in a generation. Several events show that the mobilization against the barbarity of neoliberalism becomes more and more strong all around the world and specially in Latin America. In this continent, people want to take in hand their destiny and to understand how does corporate-centered globalization impact their lives, and what are the real links between the alphabet soup of globalizing institutions (WTO, IMF, NAFTA, FTAA, etc.) and local struggles around labor rights, police brutality, immigrant and ethnic minorities rights, the prison-industrial complex, welfare and civics rights, and many others… Mexico The first January of 1994, day of birth of the free trade area between Mexico, United states and Canada, the Zapatistas Army leading by Subcommandante Marcos rose up against mexican government, claiming «YA BASTA!», demanding recognition of the indian identity. In 1997, the massacre of Acteal, which made 45 victims in the community of the Tzotziles Indians, forced me to go in Chiapas to give an account of this reality. It took me three years to give a report of the « network of in bottom » in this zone of conflict, and to finally meet the leaders of the Army zapatist. Venezuela In April 2002, there was a putsch in Venezuela leading by the employers associations supported by the private channels. Dozen of thousand people took the streets and surrounded the presidential palace. Without violence acts, they managed to obtain the return of Hugo Chavez temporarily remanded by the army. Finally these riots gave a boost to initiatives based on fair local development and joint worker-management control. Argentina In 2003, while a broad economic stagnation, the Argentinian working-class rebelled for more equity and social justice. They wanted to introduce new way of management in companies with a fair share of wages. The « Piqueteros » (association of unemployed) blocked up activities, streets and highways. In this country the last and only resort for many families (the “Cartoneros”) is often to resell salvaged materials like cardboard, scrap, papers. Bolivia When I arrived to Bolivia, the riots of indigenous people finally put in difficulty the government of president Carlos Mesa about the nationalization of hydrocarbons. In June 2005, after a score of days of demonstrations called the « War of Gas », president Carlos Mesa ended up resigning. In December 2005 Evo Morales was elected for president. For the first time in the history a native indian, a «Cocaleros», comes to power… Peru These portraits, realized in collaboration with Human Rights Watch, want to be a “Duty of memory”. They points up the dramatic consequences of the years of violence perpetrated by the Shining Path, and the drifts of the security forces of Fujimori’s government. the Truth and Reconciliation Commission reports that at least 31,000 people had died, with almost 47,000 disappearances leaving more than 50.000 orphans. The group “the innocent ones released” is composed of former prisoners wrongly condemned for terrorism, and then all released for lack of evidence. They still fight today for justice. The Peruvian people organize and take the same way of fight against the American imperialism, like so much of others in Latin America. Chile Special and exception legislation, anti-terrorist law re-established, lawsuit with covered faces witnesses, judgment without evidence, sentences of 10 years for “terrorist fire”, police harassment… Sadly we are not in Chile during the old beautiful days of the dictatorship but indeed in… 2007. The past victims of the junta of Pinochet, the members of the Convention, were forever denouncing the violations of the human rights. But today, after coming to power, they use its heritage of militaro-legal arsenal against the mapuches communities. The tragedy of mapuches was denounced in several reports, for example FIHD in June 2004, Amnesty International, Human Rights Watch, but still remains occulted by the national press and ignored by international networks. My work is based on these considerations. I want to catch the excitement, energy and show the feasibility of new modes of organizing. I crossed Argentina, Bolivia, Chile, Mexico, Peru, Venezuela to meet famous or anonymous people in their day-to-day fight. I work to bring back pictures like so many testimonies of these alternatives concerning the future of all of us.

 

Pays : Argentine, Bolivie, Chili, Mexique, Pérou, Venezuela

Nombre de photos : 120