JE NE SUIS PAS UN CHIFFRE

PORTRAIT D’UNE JEUNE MAJEURE SANS PAPIER

Bertrand GAUDILLÈRE

Gaudillère


This post is also available in: Anglais

 – 2012 –

« Je ne suis pas un chiffre », c’est le cri presque silencieux que Rajae, jeune majeure sans papiers sur le territoire français depuis 2004, n’a de cesse de pousser depuis que je l’ai rencontrée il y a cinq ans. Elle ne hurle jamais sa colère, elle la murmure plutôt, mais ne se résigne pas pour autant. Elle prend la parole dès qu’elle le peut, revendique le droit d’être là en expliquant très bien les mécanismes qui l’ont amenée à cette vie clandestine. Aujourd’hui sa voix ne tremble plus, et sonne juste. Elle est touchante et désarmante de sincérité lorsqu’elle vous explique que paradoxalement, avoir des papiers l’effraye un peu. Tant qu’elle n’en a pas, elle est le centre d’attention de personnes qu’elle n’aurait probablement jamais rencontrées et qui l’ont faite grandir, qui lui ont fait comprendre un peu mieux ce monde qu’elle ne connaissait que très peu depuis son village du Maroc. «Toi par exemple, je ne t’aurais jamais rencontré » m’affirme-t-elle.« Absolument » pourrais-je lui répondre, un mot qu’elle emploie à tout va, et qu’ici j’écris en souriant… L’écouter me lire les textes qu’elle avait écrits pour raconter son histoire ne m’a par contre jamais fait sourire. Son père, l’école, les foyers successifs, les soutiens, la découverte de la politique, ses deux jobs, la précarité, la peur de l’arrestation… Sur chacune de mes photos, elle s’est appliquée à trouver les mots justes pour ne pas se trahir. Elle ne voulait pas être misérable, ni angélique. Elle voulait être vraie, parce que c’est important que les gens comprennent ce que c’est que d’être sans papiers, et comprennent aussi que ce n’est pas une fatalité, que ça ne m’arrange pas moi d’être sans papiers, que ça arrange plus ceux qui ont fait les lois.
Je ne voulais pas prendre la parole à sa place. Nous l’avons prise ensemble, pour rappeler que la politique du chiffre menée par les gouvernements successifs avait des conséquences.
En France Rajae ne sera pas mariée à un homme qu’elle n’aime pas, elle n’est plus « obligée » de croire en un Dieu qu’on a choisi pour elle, mais elle n’a pas le droit non plus de rêver aller à la fac. La France a besoin de personnel d’accompagnement, il faut un projet professionnel réaliste, les papiers pourraient éventuellement être obtenus si elle devenait assistante médicale, ou auxiliaire de vie… Il faut être pragmatique.
20 ans n’est décidément pas le plus bel age de la vie !

Jeunes majeurs

En signant la convention internationale des droits de l’enfant, la France s’est engagée à prendre en charge les mineurs étrangers présents sur son territoire. L’état français doit assurer « à tout enfant sans distinction aucune, indépendamment de toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion (…) » une protection et les soins nécessaires à leur bien-être pour qu’ils soient effectivement protégés de toutes formes de discrimination.
C’est ce même état bienveillant qui délivre aux mineurs devenus adultes des O.Q.T.F (Obligation de Quitter le Territoire Français) plutôt qu’une carte de séjour. Un mineur ne peut pas être un sans papier. Mais il le devient à sa majorité. Pour prétendre à l’obtention d’une carte de séjour, il faut pouvoir justifier de sa présence sur le territoire en continu entre l’âge de 13 et 18 ans.
Rajae est arrivée en France à l’âge de 14 ans…

Bertrand Gaudillère

 


 

Pays : France
Région : Rhône Alpes
Lieu : Lyon

Nombre de photos : 20