LES FEMMES SACRIFIÉES
du GUATEMALA


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 Depuis l’année 2000 à juin 2008, ont été assassinées plus de 3.500, par le seul motif qu’elles étaient des femmes. Dans ce pays en proie à la violence, le «crime de genre» est désormais puni.  Mais, dans la rue, la corruption et le machisme font la loi.
Cette violence prend racines dans une «guerre civile» qui a duré trente-six ans

   Le « crime de genre »
désormais puni… en théorie
Après le Mexique et le Costa Rica, le Guatemala s’est doté d’une loi contre le crime de genre. Promulguée en mai dernier, la « loi contre le fémicide et autres formes de violence contre la femme » qualifie de « fémicide » « la mort violente d’une femme pour sa condition de femme, occasionnée dans le contexte de relations inégales de pouvoir entre hommes et femmes ».  La loi, qui établit des peines entre 25 et 50 années de prison, prévoit aussi des juges spécifiques pour ces délits. Mais la justice et la brigade de police chargée de ces crimes ont du mal à la faire appliquer.
   Trop, c’est trop. Hugo Alvarado appuie sur ses paupières gonflées par une nuit de veille, comme pour effacer le cauchemar. Déjà trois cette semaine, et nous ne sommes que mercredi. En deux ans, depuis qu’il est sorti de l’école de police, ce jeune inspecteur de la brigade en charge des meurtres de femmes a pourtant visité l’enfer et ses dépendances, ramassé des morceaux de corps dans des sacs plastique aux quatre coins de Ciudad de Guatemala, arraché les dépouilles aux immondices de la décharge. Mais là, ça dépasse tout. Cette nuit, son téléphone a sonné vers trois heures. Un crime, à Mixco, une banlieue pauvre. Quand Alvarado est arrivé sur place, les pompiers venaient d’éteindre l’incendie. Derrière une porte en fer et des murs de parpaings gisaient les corps de Miriam Pérez, 37 ans, et de ses deux filles, Nahomi et Leidy, 9 et 11 ans. Les vêtements de la mère étaient arrachés. Elle avait été égorgée. Les corps des filles avaient été arrosés d’essence. Une étincelle a suffi. De l’aînée ne subsistent qu’une paire de jambes dissimulées par le bas d’un pantalon et les pieds, intacts. Le reste n’est que cendre. La mère s’est débattue, elle a imprimé les traces sanglantes de ses mains partout sur les murs. Il est sept heures et Hugo Alvarado vient de rentrer, lessivé : « Pour moi, dit-il, les victimes ont été violées avant d’être tuées. Miriam Pérez s’était plainte auprès des voisins. Son compagnon la battait. Nous sommes à sa recherche » Une piste parmi d’autres. A Mixco, personne n’a rien vu. Personne ne voit jamais rien. Alvarado soupire, balaie du regard les classeurs métalliques qui dégueulent les dossiers en souffrance. Autant de femmes assassinées. Le meurtrier pourra courir encore longtemps. Au Guatemala, le taux de résolution des crimes atteint péniblement les 3 %. Depuis 2000, trois mille cinq cents femmes ont perdu la vie, violées, torturées, démembrées. Par des proches ou des inconnus.
Crimes de genre en série. A ce point nombreux qu’un néologisme a été créé, pour qualifier une société qui assassine ses femmes :
le « fémicide »
Texte de Patrick BARD et Marie-Berthe FERRER
Octobre 2008http://reportage-video.geo.fr/violence-femmes-guatemala/
 Légendes :

01 – Fillette enlevée. Une indienne recherche sa fille disparue.
Les femmes sont souvent seules lorsqu’il s’agit d’enquêter ou de faire respecter leurs droits et leur dignité.

02 – Guatemala City. "Où sont elles?"  Des avis de recherche de femmes disparues.

03 – Avis de recherche pour une adolescente.
Dans une rue de Guatemala City, une affiche annonce la disparition d’une étudiante, Fernanda Brillith Agustín Jiménez.

04 – Graffiti. A bord d’une voiture de police. Un graffiti interpelle : « 3 000 femmes disparues… »

05 – Scène de crime. Une mère et ses deux filles ont été assassinées puis brûlées.

06 – Commissariat. Bureau de la nouvelle brigade anti-fémicide.

07 – Dans le cimetière central de Ciudad de Guatemala, la capitale, Rosa Franco se recueille sur la tombe de sa fille, María Isabel, violée, torturée puis tuée à l’âge de 15 ans, en 2001. Face à l’inaction de la police, Rosa a mené l’enquête, remontant jusqu’à un narcotrafiquant, assassiné lui aussi.

08 – Mère de victime. Rosa Franco. L’enquête de la police sur la mort de sa fille n’a jamais abouti.
Au Guatemala, moins de 3 % des crimes sont élucidés.  

09 – Plus du tiers des habitants de la capitale, Guatemala, vivent dans des bidonvilles comme celui de La Colonia La Limonada, dans une extrême pauvreté. Les femmes de ces quartiers soumis aux gangs des Maras sont les plus vulnérables. Dans plus de 50 % des cas, les motifs des «fémicides» ne sont pas connus.

10 – Femme de gang. Une maras qui aurait survécu à une tentative d’assassinat par la police.

11 – Guatemala City. La nuit tombée, les rues sont désertes.

12 – Commerces. Les commerçants s’abritent derrière des grilles de sécurité.

13 – Vente d’armes. Ici, il est très facile d’acheter des armes à bon prix.

14 – Vigiles. Des agents de sécurité gardent les commerces de la ville.

15 – Urgences. Une femme ayant reçu une balle dans le pied.

16 – Urgences. Une femme ayant reçu une balle dans l’épaule.
Tuées par des proches ou des inconnus, elles sont victimes d’un machisme exacerbé.

17 – Urgences. Olga María Betet, 52 ans, vient d’être grièvement blessée par balles à Mixco, l’une des banlieues les plus dangereuses de Ciudad de Guatemala, par des hommes surgis d’une voiture. Elle décédera près d’un mois plus tard et le mobile du meurtre restera inconnu. Au Guatemala, on découvre plus d’un cadavre de femme chaque jour.

18 – Scène de crime. Patrouille de nuit avec la police.
María Luisa Aju, 40 ans, vendeuse de tortillas, a été assassinée par balles dans le quartier d’El Gallito, célèbre pour ses narcotrafiquants.
Les représentants du ministère public arrivent bien après les policiers et les journalistes.
C’est seulement depuis l’année 2000 que les statistiques officielles font une distinction hommes/femmes, attirant enfin l’attention sur le « fémicide ».

Photographies BARD Patrick