VIVRE AVEC TOIT


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Pendant deux années, j’ai vécu auprès d’hommes et de femmes qui venaient de retrouver un toit après avoir vécu très longtemps dans la rue.
Comment appréhendaient-ils leur nouvelle vie ?
Comment se reconstruisaient-ils ? Quel était leur quotidien ? C’est ce que je voulais savoir.
Je me suis vite aperçu des limites de la photographie. Tous exprimaient leur soulagement d’avoir un logement, la difficulté de réapprendre à vivre dans un espace réduit, leur incapacité à se prendre en charge au quotidien. Ces sentiments étaient intraduisibles en photographie. J’ai donc pris un petit carnet dans lequel j’ai inscrit méticuleusement leurs propos. J’ai respecté leur style, leur façon de s’exprimer, leurs non-dits, leurs erreurs et leurs contradictions. Pas d’interview brutale, mais une succession de petites réflexions intimes qu’ils m’ont confiées au fil du temps.  
Toutes les personnes que j’ai suivies ont plus de cinquante ans. Elles ont toutes connu une enfance difficile. La plupart ont rejeté leur famille ou été rejetées par elle. Beaucoup sont fatiguées, malades, dépressives, en cours de soins ou sous dépendance chimique. La plupart se sentent inutiles au monde, se replient sur elles ou se retirent de la vie sociale. Certaines expriment leur solitude, leur souffrance, leur impossibilité d’échanger, de discuter, de partager leurs émotions. Beaucoup ont un sentiment de culpabilité et se sentent responsables de leur exclusion. Toutes vivent des minima sociaux. Plusieurs ont de toutes petites retraites. Nombre d’entre elles ont de graves problèmes de dépendance à l’alcool.
Avoir un toit même si ce n’est qu’un taudis est primordial pour elles. Toutes m’ont parlé du désir de se poser, d’avoir une adresse, un lit, des clefs, une boîte aux lettres, bref d’être reconnues malgré leur pauvreté.
Le plus difficile pour moi fut de suivre plusieurs personnes en même temps. Il m’a fallu une organisation très précise pour conserver une pression sur elles sans jamais les gêner dans leur quotidien. J’ai dû composer avec les rendez-vous manqués, les changements d’adresse, les hospitalisations, les retours à la rue et les ruses pour éviter les marchands de sommeil ulcérés par ma présence.
J’avais élu mon quartier général à « l’Etape », lieu de vie des petits frères des Pauvres qui accueillent des personnes dans la précarité. J’arrivais pour le petit-déjeuner, je discutais avec les gens, je leur parlais de mon projet. Beaucoup ont refusé. Peur de se montrer, de parler ou d’être reconnu par leur famille. Il m’a fallu énormément de temps, d’écoute et de proximité pour gagner leur confiance. Au début je leur donnais des photographies. J’ai vite renoncé car je leur offrais une image d’eux qu’ils refusaient de voir. Finalement j’ai fait peu de photos. On se rencontrait régulièrement. On prenait un café, on discutait. Je me sentais plus bénévole que photographe et cela me plaisait.
Aujourd’hui et comme à chaque fois que je termine un long travail, je me demande si ce que j’ai enregistré est aussi riche que ce que j’ai vécu. Ai-je été à la hauteur de la confiance qu’ils m’ont donnée ? Ai-je saisi l’essentiel ? Le cœur du propos se trouve-t-il d’ailleurs dans ce qui est montré ou dans ce qui ne l’est pas ? Je sais qu’il faut beaucoup plus que des photos pour que ces êtres fragiles ne portent plus le fardeau des préjugés et des tabous qui les livrent à l’oubli de tous.
Makou, Ginette, Daniel, Max, Patrick et vous tous avec qui j’ai passé ces moments forts, ce travail est aussi le vôtre. Puissent vos textes et mes images provoquer chez ceux qui les verront de la compassion et le simple désir de mieux vous connaître. C’est mon vœu le plus cher.Jean-Louis CourtinatA ROOF OVER YOUR HEADFor two years, I lived in the company of men and women who had just moved into permanent accommodation, after a long period of living in the street.  How did they adapt to their new lives?  How did they go about rebuilding themselves? What daily routine did they find? That’s what I wanted to find out.
Quickly I found the limits of photography. They all expressed their relief at having found accommodation, but also the difficulties they had in getting used to living in a confined space and the difficulties they experienced in taking care of themselves day-to-day. These sentiments were impossible to represent through photography, so I noted down everything they said in a small notebook.  I reproduced their style, their way of speaking, their errors, taboos and contradictions.  No brutally direct interview, but a succession of intimate exchanges and reflections that they confided to me over time.
All of the people I frequented are more than fifty years old.  They all had a difficult childhood.  Most rejected their families or were rejected by their families.  Many are worn out, ill, depressive, under treatment or chemically dependent.  Most feel of no use to the world, have closed in on themselves and have withdrawn from social life.  Some talk of their loneliness, their suffering, the impossibility to have any social exchange, to chat or share their emotions. Many feel guilty and think that their exclusion is their own fault.  All live on social welfare.  Some have modest retirement payments and several suffer from severe dependence on alcohol.
Having a roof – even if it is a hovel – is primordial for them.  They all spoke of their desire to settle, to have an address, a bed, keys, a letter box….simply to be recognized, despite their poverty.  For me, the hardest thing was to manage to follow several people simultaneously.  I needed to be perfectly organized in order to maintain a degree of pressure, without disrupting their daily routine.  I had to manage no-shows for meetings, changes of address, admittances to hospital, people going back to living in the street, and all sorts of schemes to avoid unscrupulous landlords upset by my presence.
I set up my headquarters at « l’Etape », a place belonging to the petits frères des Pauvres which welcomes homeless people.  Generally I arrived at breakfast-time, and chatted with those present, talking to them about my project.  Many refused to take part. Afraid to show themselves, to speak or to be recognized by their families.  It took a huge amount of time, of listening and of physical presence to win their trust.  Initially I gave them the photos, but I quickly gave up because it gave them an image of themselves that they refused to see.  Finally I didn’t take that many photos at all.  We met regularly, for a coffee, just chatting.  I felt more like a volunteer than a photographer and liked that.
Today, like every time I finish a big project, I ask myself if the final result is as rich as what I actually experienced.  Have I shown myself worthy of the trust they had in me?  Did I get to the heart of the matter?  Does what I have shown, or have not shown, accurately reflect the subject ?  I know that one needs much more than photos so to free these fragile people of the heavy load of prejudice and taboo that lead them to being lost to general indifference.
Makou, Ginette, Daniel, Max, Patrick and all of you with whom I have spent these memorable times, the result of this work belongs as much to you as to me.  May your words and my images inspire compassion amongst those who see them, and give them the desire simply to get to know you better.  That is my dearest wish.Jean-Louis Courtinat
photographs by JEAN-LOUIS COURTINAT

From 05/11/2013 to 30/11/2013
HOTEL DU PAYS DE CHATEAU-GONTIER
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