MEMORY UNEARTHED

The Lodz Ghetto Photographs of Henryk Ross


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« Il faut savoir que le ghetto de Litzmannstadt n’était pas prévu pour être un ghetto juif, mais un ghetto pour les Juifs. »  Lódz Ghetto Chronicle Le ghetto de Lódz était aussi isolé du reste du monde qu’un radeau flottant en eaux hostiles, loin du rivage le plus proche. Par une ironie cruelle, le nom polonais de la ville où il a été installé du jour au lendemain, le 8 février 1940, signifie « bateau ». Comme des naufragés qui essaient de déterminer leur position grâce à des constellations inconnues, les prisonniers du ghetto interprétaient les allées et venues de leurs geôliers, essayaient de tirer des renseignements implicites dans les annonces officielles et captaient des bribes d’informations sur des radios pirates. Aujourd’hui, nous avons en notre possession de nombreux éléments auxquels les résidents n’avaient pas accès, mais pour ce qui est de retracer les parcours individuels de ceux qui étaient confinés là, nous n’avons dans bien des cas à peine plus que des empreintes laissées sur l’eau. Il s’agit alors de reconstituer le puzzle à l’aide de fragments de journaux intimes, de suppositions faites en lisant entre les lignes des écrits largement censurés rassemblés par l’administration du ghetto, et de retrouver le contexte de l’iconographie existante. Memory Unearthed : The Lódz Ghetto Photographs of Henryk Ross est une exposition organisée à l’origine par la Art Gallery of Ontario en 2015 et actuellement visible au Museum of Fine Arts de Boston. Elle offre un aperçu rare sur la vie quotidienne – et la mort – dans le ghetto de Lódz, vue à travers l’objectif d’un photographe. Les tirages, négatifs et photomontages, soigneusement sélectionnés et mis en valeur, apportent un éclairage nouveau sur des aspects peu connus du ghetto et sur les deux activités – l’une autorisée, l’autre clandestine – de l’un de ses reporters officiels. Mise en place en novembre 1940, six mois après la fermeture du ghetto au monde extérieur, la section archives de l’administration a gardé systématiquement les proclamations officielles et la correspondance de l’administration, des documents visuels, ainsi que les livres et documents laissés par les déportés. Les archivistes tenaient quotidiennement la chronique du ghetto[i], procédaient à des recensements, gardant la trace des arrivées et des déportations, des naissances, des fausses-couches, des morts “naturelles”, des exécutions et des suicides. Ils établissaient des statistiques sur les ateliers de fabrication, les rations alimentaires, les pénuries et notaient même la météo. Tous ces éléments étaient rassemblés pour former une encyclopédie du ghetto[ii]. L’administration s’était aussi dotée de deux photographes chargés de garder une trace des événements officiels, de fournir à chaque résident une photo d’identité et de créer des images de propagande destinées à justifier l’existence du ghetto. Un natif de Lódz, Henryk Ross, qui travaillait comme photojournaliste avant la guerre, couvrant des événements sportifs pour des magazines populaires polonais, se retrouva piégé alors qu’il passait par sa ville natale, le 30 avril 1940, date à laquelle le ghetto était déjà clos[iii]. Entre 1940 et 1944, il rassembla un corpus de plus de 6 000 négatifs et tirages. Tel un naufragé qui confie son dernier message aux vagues, Ross, sentant que la déportation était proche, enterra ses images dans le sol, protégées dans des boîtes enduites de goudron. Contrairement à son collègue photographe Mendel Grossman, qui fut déporté en août 1944 et mourut peu de temps après lors d’une marche forcée, et dont les négatifs furent retrouvés après la libération mais détruits dans la guerre en Israël en 1948[iv], Ross fut épargné grâce à son emploi dans l’équipe de nettoyage. Bien que la moitié de ses négatifs fut détruite, les images restantes dépeignent un portrait complexe du ghetto. Parmi les 3 000 images conservées dans les collections de l’Art Gallery of Ontario (AGO), et accessibles en ligne (http://agolodzghetto.com/), seulement une poignée furent montrées du vivant de Ross. Les images qu’on lui demandait de prendre devaient montrer que la communauté était efficace, productive. Créé à l’origine pour isoler la population juive, le ghetto de Lódz a rapidement été transformé en camp de travail forcé. Entre novembre 1940 et février 1943, le nombre d’ateliers avait triplé, passant de 30 à 96. Au plus fort de l’activité, plus de 61 000 personnes y travaillaient[v]. Les ateliers fournissaient la Wehrmacht et le secteur civil en uniformes et vêtements, en chaussures, tapis, matelas et objets en cuir. Tout en enrichissant les administrateurs nazis, notamment Hans Biebow, un marchand de café de Brême qui s’était porté volontaire pour administrer le ghetto afin d’échapper au combat direct et pour entreprendre un commerce lucratif. À partir de septembre 1942, tous les résidents de 10 ans et plus devaient justifier d’un emploi : tous les « éléments improductifs » se étaient déportés. Mordechai Chaim Rumkowski, le directeur très controversé de l’autorité juive du ghetto, misa la survie du ghetto sur sa capacité à maintenir la paix et la productivité, mais en exécutant les ordres de déportation à la lettre. L’exposition est constituée de plusieurs séries thématiques qui montrent le fonctionnement des ateliers et des autres types de travaux forcés au sein du ghetto : le travail du cuir, l’usine de matelas, ainsi que la boulangerie, le service des égouts, et bien d’autres. Sur les photos, les travailleurs prennent la pose, figés en plein geste, afin d’illustrer au mieux leur activité à chaque stade de la production. Malgré tout, même dans ces images de propagande, Ross fait preuve d’un regard humain : par un zoom sur les mains habiles d’un travailleur, par la mise en avant du travail d’équipe… Il privilégie des moments d’activité, comme sur la photo montrant un chargement de pain porté par un groupe de garçons d’âges variés – les jambes de l’un d’eux sont un peu floues, preuve qu’il vacille sous la charge en faisant un pas en avant. Même si ces clichés étaient destinés à prouver l’utilité du ghetto, et étaient souvent compilés en albums commémoratifs à destination des nazis, ce que nous remarquons aujourd’hui, au-delà des preuves d’exploitation et de privations, ce sont les visages de ces personnes qui regardent l’un des leurs, avec une résilience teintée d’espoir, et qui nous atteignent encore malgré les décennies qui nous séparent. Entre les photos officielles, et parfois sur la même pellicule, Henryk Ross a photographié un autre aspect du ghetto. Parfois ouvertement comme l’attestent les regards tournés vers l’objectif. Il a photographié les masses de déportés que l’on escortait hors du ghetto, les résidents affamés qui déterraient des restes de nourriture pourrie dans le sol. Parfois, il a immortalisé, au péril de sa vie, des scènes que ni Rumkowski ni les nazis ne voulaient voir dévoilées. Ela Kotkowska Ela Kotkowska est une écrivain, traductrice et éditrice freelance. Elle vit et travaille en Nouvelle-Angleterre aux États-Unis.
photographs by Henryk ROSS

From 25/03/2017 to 30/07/2017
MUSEUM OF FINE ARTS-BOSTON
Avenue of the Arts, 465 Huntington Avenue
Boston, Massachusetts 02115-5523
États-Unis

Opening hours : Tous les jours : 10h à 17h sauf de mercredi à vendredi : 10h à 20h.
Phone : 617-267-9300
tickets@mfa.org
http://www.mfa.org/