EGYPTE LES MARTYRS DE LA REVOLUTION


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*Mahmoud
Quand nous nous sommes rencontrés, un an après la révolution, j’étais au bord d’abandonner ce travail de mémoire.
Nous avons commencé par photographier un père que j’avais rencontré place Tahrir et qui faisait les cent pas avec la photo de son fils accrochée sur son cœur. Cette première rencontre fut douloureuse parce que cet homme avait non seulement perdu son fils mais n’était également pas reconnu comme père de martyr, le corps du garçon n’ayant pas été retrouvé.
Nous sommes sortis, toi et moi, ébranlés par cette rencontre, c’est à ce moment-là que je t’ai demandé de m’aider à trouver des parents qui accepteraient de témoigner.
Durant quatre mois, nous avons rencontré vingt familles. Chaque fois que nous étions accueillis par les parents, tu avais d’abord besoin d’échanger quelques mots autour d’un thé sucré que tu accompagnais toujours d’une cigarette. Lors de ces rencontres tu as très souvent pleuré. Je ne faisais les images qu’après vos longs échanges terminés.
Les prises de vue se déroulaient toujours en ton absence et dans le silence.
Une nuit, après deux mois nourris de toutes ces rencontres, tu m’as envoyé un sms qui disait « La mort est à ma porte. » Je t’ai répondu alors que si c’était trop douloureux pour toi, j’interromprais ce travail.
Deux semaines se sont écoulées et tu as décidé de poursuivre. J’étais d’accord, à condition que tu te protèges de toute cette détresse. Je t’ai dit  « Essaie de ne pas trop pleurer ».
Après avoir réalisé le dernier entretien, ce fut comme une évidence : nous avions terminé. Nous souhaitions rassembler tous les parents au sein d’un livre et d’une exposition. Sans doute notre manière de leur rendre hommage et peut-être apaiser leur peine, soulager leur chagrin, leur colère.
Nous avions décidé de prolonger ce témoignage en photographiant la fureur de vivre des jeunes Égyptiens du Caire depuis la révolution, mais tu as trouvé la mort en te baignant dans la mer Rouge par une journée d’été 2012.
Je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme toi, un être élégant, unique par ta force et ta fragilité. Quand nous étions ensemble, tu étais égyptien, j’étais français, nous appartenions au monde.
Denis Dailleux

* Mahmoud Farag, artiste et vidéaste égyptien a travaillé avec Denis Dailleux sur ce projet en réalisant au Caire les entretiens avec les familles des victimes. Ces entretiens, retranscrits en arabe, sont traduits et mis en forme par Abdellah Taïa. Malheureusement, Mahmoud est décédé brutalement en Égypte lors de l’été 2012 sans avoir achevé son travail de retranscription et de rédaction, tâche qu’Abdellah Taïa a bien voulu accomplir.

 

Photographies Denis DAILLEUX

Du 09/01/2014 au 15/03/2014
Galerie FAIT & CAUSE
58 rue Quincampoix
75004 PARIS
France

Horaires : Du mardi au samedi de 13h30 à 18h30
Téléphone : 01 42 76 01 71
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