DESMEMORIA


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Le musée du Nouveau Monde de La Rochelle présente du 1er octobre 2021 au 31 janvier 2022 l’exposition Desmemoria, de Pierre –Elie de Pibrac, photographe plasticien.
Desmemoria constitue un témoignage à la fois photographique, anthropologique et social sur la communauté des azucareros de Cuba – travailleurs de l’industrie du sucre et révolutionnaires de la première heure.
Pierre-Elie de Pibrac a vécu près d’un an en immersion chez diverses familles cubaines de cette communauté. À travers cette expérience, le photographe interroge la fin des utopies chez un peuple qui a cru et oeuvré pour que s’incarne le rêve castriste. Ce projet raconte comment les Cubains appréhendent désormais leur quotidien, quel regard ils portent sur leur histoire récente.
Le musée du Nouveau Monde a entrepris depuis 2019, avec l’exposition Chic Emprise consacrée à la culture et à la sociabilité autour du tabac, un cycle sur les différents produits coloniaux : sucre, café, indigo, cacao… L’exposition Desmemoria propose une première approche, contemporaine, sur l’histoire du sucre, en portant le regard sur la plus grande île des Antilles.

 

Cuba et le sucre
Découverte en 1492 par Christophe Colomb, Cuba est la plus grande île des Antilles, située à l’entrée du Golfe du Mexique. Conquise par Diégo Vélasquez entre 1511 et 1513, l’île sert de base d’opérations pour la conquête espagnole du continent américain en raison de son emplacement stratégique.
Une économie de plantation s’y développe assez tôt, d’abord pour le tabac, puis pour la canne à sucre qui apparaît vers 1548 autour de Santiago et dont la culture se répand aux XVIIe et XVIIIe siècles. Cuba supplante Saint-Domingue et devient le premier producteur de sucre au monde après la révolte des esclaves et l’indépendance d’Haïti en 1804.
En 1837, un réseau ferré reliant les régions sucrières aux ports est construit, alors même que la traite des esclaves reste massive pour soutenir la production.
Toujours sous domination espagnole, il faut attendre 1868, avec le début de la guerre des Dix Ans, pour que Cuba obtienne une relative autonomie. L’esclavage y est finalement aboli en 1880.
En 1895, une crise sucrière éclate et entraîne des troubles qui vont donner lieu à un conflit entre l’Espagne et les Etats-Unis d’Amérique en 1898. Le traité de Paris signé à l’issue de celui-ci met fin à la colonisation espagnole et l’île se retrouve sous tutelle américaine jusqu’en 1902, date de l’indépendance de Cuba. Cependant, la mainmise politique américaine est toujours présente, en échange de privilèges douaniers pour les produits cubains. Au début du XXe siècle, le sucre est la culture largement dominante sur l’île.
Après la 1ère Guerre mondiale, la dépression économique en traîne des troubles sociaux et accentue le sentiment anti-américain. La crise de 1929 touche très durement l’économie sucrière.
La situation politique et sociale dans l’entre-deux guerres est extrêmement tendue. Les gouvernements successifs font preuve d’une grande dureté en réponse aux émeutes et alors que les Etats-Unis essaient de reprendre le dessus sur Cuba, le général Fulgencio Battista arrive au pouvoir en 1933. Jusqu’en 1940, il fait et défait plusieurs présidents. En 1940, la politique de Batista conduit à la proclamation d’une nouvelle constitution démocratique très ambitieuse, en particulier au niveau économique et social. Cuba entre alors dans une ère de relative prospérité, minée cependant par des problèmes de corruption. En 1952, Battista s’empare du pouvoir avec l’aide de l’armée et met ainsi fin à la constitution. S’ensuit une période de dictature, marquée par la corruption et les inégalités. L’économie est alors toujours dépendante de l’exploitation de la canne à sucre et des capitaux américains.
L’opposition enfle et se manifeste par des rébellions armées, menées par Fidel Castro et Che Guevara entre 1956 et 1959. La révolution castriste met en place début 1960 un nouveau régime d’abord reconnu par les USA, mais dont l’orientation communiste menace les intérêts américains. Un blocus économique et commercial est mis en place par les USA dès 1962.
L’URSS apporte alors son soutien à Cuba, qui obtient qu’elle s’engage à acheter chaque année, bien au-dessus du cours mondial, la moitié de la production de sucre cubaine.
L’économie cubaine était déjà dépendante de l’industrie sucrière avant 1958. Avec la révolution castriste, la réforme agraire mise en place entre 1959 et 1963 transforme en grandes fermes d’Etat la majeure partie des anciennes plantations sucrières. Dans le cadre de relations préférentielles avec le camp socialiste, Cuba mène à la fin des années 60 une stratégie de réaffirmation du rôle du sucre dans le développement de l’économie nationale. Le plan gouvernemental a alors pour objectif de doubler les récoltes en à peine cinq ans jusqu’à atteindre les dix millions de tonnes. Durant cette période, le sucre monopolise toute l’attention des dirigeants cubains. L’échec de la récolte des dix millions représente un moment dramatique dans l’histoire de l’économie cubaine. Après cet échec, Cuba continue pourtant à développer son industrie sucrière grâce aux prix avantageux, aux matériels et au soutien technologique de l’Union soviétique. Ceci ne fait que dissimuler l’inefficacité grandissante de ce secteur économique.
Avant 1990, Cuba exporte l’essentiel de son sucre vers les pays d’Europe de l‘Est et importe en échange du pétrole et des machines. Intégrée au monde communiste et soutenue artificiellement, l’économie cubaine s’est effondrée avec la disparition de l’Europe socialiste. La crise a provoqué de graves pénuries, qui ont-elles-mêmes engendré des mesures d’austérité drastiques.
Castro a ainsi décidé la fermeture de dizaines de centrales, abandonnant la « première ressource » au profit du tourisme, plus prometteur en devises.
700 000 hectares de cannaies ont été reconvertis en d’autres cultures, le trafic ferroviaire a été considérablement réduit en même temps que 60 000 travailleurs déplacés. Durant ce processus, ces derniers ont continué à percevoir des allocations pour les inciter à reprendre leurs études.
Afin d’amortir les conséquences socio-économiques de ces mesures, le ministère du sucre se charge de préparer les terres destinées aux nouvelles cultures, facilitant ainsi la mobilité des travailleurs et continuant à offrir les services habituels (électricité, eau…) aux habitants des sucreries désaffectées.
Dans bon nombre de cas, les usines fermées représentaient la principale source de travail dans ces communes. Certaines sucreries étaient même le point central de plusieurs municipalités. Pour toutes ces personnes dont l’existence s’était écoulée au rythme des sucreries, il ne reste que des structures squelettiques vidées de leur équipement, des locomotives abandonnées au bord des chemins ou des matériaux abandonnés par manque d’utilité.
Bien qu’il n’y ait pas eu de suppression de postes, les emplois offerts ne correspondaient souvent pas aux capacités des travailleurs « excédentaires » ni à leurs souhaits. On vit apparaitre de sérieux problèmes d’identité autant dans les communautés que chez les personnes. Ici ou là, une équipe de base-ball garde le nom de la vieille sucrerie, un groupe de musique anime les nuits désertes de la ville, des danseurs investissent la vieille « maison de logement » pour garder un espace de divertissement. Mais rien de cela ne permet la préservation de l’identité ou son adaptation à une nouvelle dans laquelle l’empreinte sucrière aurait perdu son importance.
Aujourd’hui, la production est inférieure à 2 millions de tonnes et le pays importe le sucre des cannes brésiliennes et des betteraves françaises. Et, faute de pétrole vénézuélien, le gouvernement a dû mobiliser cette année 4 000 paires de boeufs pour le travail de la canne…

 

 

Le musée du Nouveau Monde de La Rochelle :
un musée dédié aux relations avec les Amériques
Le musée du Nouveau Monde de La Rochelle a été inauguré en 1982 par Michel Crépeau, Maire de la Rochelle. Il a été volontairement installé dans un hôtel particulier du XVIIIe siècle, l’hôtel Fleuriau, du nom de la famille qui l’habitat de 1772 à 1974.
Cette demeure est construite par Jean Regnaud de Beaulieu entre 1740 et 1750, selon la mode parisienne, avec un corps central encadré de deux ailes autour d’une cour fermée par un grand portail. Elle est achetée en 1772 par Aimé Benjamin Fleuriau (1709-1787), rentré enrichi de sa plantation de Saint-Domingue. Quelques années plus tard, vers 1780, l’hôtel est agrandi grâce à l’acquisition d’une parcelle donnant sur la rue parallèle. Il comprend un corps de bâtiment adossé à la première construction, communiquant intérieurement par des portes percées à chaque demi-étage et ouvert sur un jardin.
Consacré aux relations de la France avec les Amériques, le musée du Nouveau Monde de La Rochelle a été salué lors de sa création pour son originalité et son regard sur un pan de notre histoire alors peu traité. Il fut en effet le premier musée à évoquer le passé négrier d’un port français et à exposer les éléments liés à la traite des noirs et à l’esclavage dans les colonies des Antilles. Au fil des acquisitions menées depuis sa création, le musée du Nouveau Monde de La Rochelle est devenu le miroir d’une Amérique découverte et explorée par la vieille Europe et le reflet d’une ville dynamique et commerçante, enrichie économiquement et culturellement par le nouveau continent. Les collections comprennent peintures, dessins, gravures, cartes anciennes, objets d’art décoratif et photographies évoquant le Brésil, le Canada ou la Louisiane. Elles se déploient dans les magnifiques espaces rocailles et néoclassiques. Les expositions temporaires et la création contemporaine y trouvent leur place grâce à une politique scientifique et culturelle dynamique et soucieuse de préserver la cohérence originale et originelle du musée.
La cour du musée accueille depuis mai 2015 la statue de Toussaint-Louverture, une sculpture en bronze patiné et coloré réalisée par l’artiste Ousmane SOW, membre de l’Académie des Beaux-Arts, Commandeur de l’Ordre National du Lion, Commandeur de la Légion d’honneur et Commandeur des Arts et Lettres.

 


 

Photographies Pierre-Elie de PIBRAC

Du 01/10/2021 au 31/01/2022
Musée du Nouveau Monde de La Rochelle
10 rue Fleuriau
17000 La Rochelle
France

Horaires : Les horaires de visite ont été adaptés dans le cadre de la crise sanitaire. Voir sur le site Internet pour les mises à jour : https://museedunouveaumonde.larochelle.fr/preparer-la-visite/informations-pratiques  Fermeture hebdomadaire le mardi
Téléphone : 05 46 41 46 50
musee-art@ville-larochelle.fr
www.alienor.org/musees